L’environnement, enjeu majeur d’un avenir qui se construit aujourd’hui. Tel est le titre d’une tribune publiée mi-novembre par FNE, la LPO, le Conservatoire d’espaces naturels et autres structures de protection de la nature en Pays de la Loire. « Face aux sécheresses, canicules et inondations qui se multiplient, à la disparition silencieuse de nombreuses espèces animales et végétales, à la raréfaction des ressources et à l’aggravation des inégalités sociales et environnementales, écrivent-elles, nous n’avons plus le luxe d’attendre. » Pourtant, « nous constatons un net et très inquiétant recul, voire une absence, de ces sujets dans les décisions politiques actuelles ».
Partout en France, le constat est le même : les associations environnementales, dont les missions sur le terrain sont essentielles pour défendre des écosystèmes sains, sont fortement fragilisées par des coupes budgétaires. Elles ne sont pas les seules : dans le champ du social, de la santé, de la culture, du sport…, le monde associatif, garde-fou d’un vivre-ensemble démocratique, est fragilisé. Aussi nombre de structures de l’écologie rejoignent la dynamique du Mouvement Associatif Ça ne tient plus, qui appelait le 11 octobre dernier à se mobiliser pour le défendre, en rappelant ces chiffres : « 20 millions de bénévoles, 1,8 million de salariés et 67 millions de Françaises et de Français sont touchés par les actions des associations ».
Qui Vive : Les coupes budgétaires fragilisent les associations, alors qu’elles assurent des missions essentielles. Comment percevez-vous cette dégradation, chez FNE ?
Gilles Marcel : Au niveau de la situation générale, il faut d’abord avoir en tête que notre fonctionnement en réseau est relativement différencié selon les régions. Chaque Fédération est autonome dans le choix de ses axes de travail et de son budget. Une Fédération régionale comme la nôtre, en PACA, ne va pas forcément avoir les mêmes ressources financières que nos voisins en Auvergne-Rhône-Alpes, ou Occitanie. Idem, chaque Fédération départementale est indépendante. Telle ou telle va être engagée sur certains sujets, et sa voisine sur d’autres.
Après, il faut nuancer cette indépendance ; elle peut être relative, en raison, par exemple, de la sous-traitance, ce qui est notre cas. On va, d’une certaine manière, alimenter le budget de fonctionnement de Fédérations départementales à travers les projets que nous réalisons avec elles. Mettons un projet avec l’ADEME, l’Agence de l’Eau, ou autre structure de ce type. Le travail à réaliser va être accompli avec l’équipe salariée de la Fédération régionale, mais aussi pour partie avec les salariés d’une Fédération départementale ou d’une autre association. Je précise tout cela parce qu’il ne s’agit pas de quelque chose de linéaire. Nous ne sommes pas tous assujettis à la même mécanique.
Malgré les différences, on observe un peu partout la généralisation des appels à projets. Un fonctionnement très critiqué parce qu’il met en concurrence les associations, est très chronophage… Comment le vivez-vous ?
En ce qui concerne FNE PACA, cela fait pas loin de dix ans que la notion de subvention a disparu. On utilise toujours dans les écritures comptables le terme de « subventions », mais en fait, ce sont des réponses à appels à projets.
Quand j’ai l’occasion de voir des responsables politiques, des financeurs, je leur dis depuis des années, « si vous voulez que les associations meurent, continuez à faire ce que vous faites, c’est le meilleur moyen ». Une subvention, cela fonctionne assez facilement : un montant est attribué à une association pour réaliser les objectifs déterminés par ses statuts. Dès l’instant où on passe à un financement par projet, il faut toute une logistique, un suivi, qui va demander une capacité de travail bien plus importante.
Au sein de notre Fédération régionale, la personne qui occupe le poste de responsable financière administrative passe l’essentiel de son temps à répondre à des appels à projets, puis à instruire des rapports financiers et techniques des actions réalisées.
Est-ce que cette mobilisation des énergies se fait au détriment de vos missions ?
Le problème s’amplifie au fur et à mesure. Nous avons eu un développement assez important ces dernières années, qui nous a amené aujourd’hui à 11 salariés. La masse salariale représente l’essentiel du budget. Or, on arrive à un système où l’on va aller chercher de l’argent pour faire tourner la maison, pour garantir le fonctionnement de la Fédération et le paiement des salaires, mais effectivement, on n’a pas ou plus les moyens de réaliser nos missions principales. Pour dire les choses autrement, nous recourons au bénévolat, que l’on essaye de développer le plus possible.
Cela représente combien à peu près de bénévoles ?
Dans nos comptes figure une valorisation du temps qu’ils passent sur le terrain ou les dossiers.
[ NDLR : dans le Rapport d’activité 2024 de FNE PACA, la contribution des bénévoles et du mécénat de compétence s’élève à 154 528 euros soit 13,6% des ressources totales (1 137 268 euros) ]
Mais on est, en fait, loin de la réalité : ce chiffre est minoré parce que les bénévoles négligent souvent de remonter toutes leurs heures.
Pour revenir à la dérive des appels à projets, quand je suis arrivé il y a une dizaine d’années, les salariés étaient quatre ou cinq ; donc cela représente quand même une augmentation assez importante, et rapide. C’est un paradoxe : plus on va accroître la capacité salariée, et plus on va déséquilibrer notre système économique. Plus on va en faire, et plus on est obligés d’aller chercher des ressources humaines ou financières, ailleurs que chez ceux qui financent les projets.
Cela implique que, s’il y avait un réel financement sérieux des structures qui remplissent des missions d’intérêt public pour l’État et les collectivités, il n’y aurait pas besoin de s’épuiser dans ces dispositifs d’appel à projets et de ce fait, les missions seraient mieux assurées. Avec une insécurité réduite pour les équipes aussi, j’imagine.
C’est tout à fait cela, oui.
Avez-vous espoir dans le mouvement associatif Ça ne tient plus ? Une réelle mobilisation est-elle perceptible ?
Le 11 octobre, il y a eu un rassemblement à Marseille, sous l’Ombrière du Vieux-Port, à l’appel du mouvement associatif. Cela concernait, bien au-delà de la question environnementale, tout le social, les acteurs des centres sociaux, la culture, le soin… Les structures et leurs représentants étaient là. Ce n’était pas ridicule, mais il n’y a pas une mobilisation à la hauteur des enjeux, sur la base de ce que j’ai vu.
Parce que ce n’est clairement pas suffisamment perçu par la population, y compris d’ailleurs dans nos propres équipes, qui ne voient pas forcément le danger de ce qui se profile, alors que cela avance à grands pas.
Est-ce que cela peut s’expliquer par l’incertitude gouvernementale, les successions de premiers ministres ?
Ces éléments-là jouent, mais c’est surtout le fait que la dégradation de la situation reste encore abstraite. Pour FNE PACA, on commence à ressentir des difficultés en 2025. Ça passe à peu près parce qu’on a fait en sorte que l’année se termine avec un petit déficit, pas trop excessif. Nous avions réussi à former des réserves les deux ou trois exercices précédents, donc on amortit. Par contre, en 2026, on est en pleine incertitude. Une inquiétude générale s’exprime quand on discute entre Fédérations, ou avec d’autres structures associatives. Et le contexte politique ne nous éclaire certes pas beaucoup.
D’autant que l’inquiétude se renforce à l’idée d’une élection du Rassemblement national aux présidentielles de 2027.
Alors sur ce plan, et là on revient plus à l’environnement, même si les autres secteurs associatifs sont aussi dans leur collimateur, pour nous l’option extrême-droite voudrait dire qu’on va prendre des coups sérieux.
En particulier au Sénat, on observe que depuis que Trump a été réélu aux États-Unis, il a donné de l’oxygène à certains membres de la droite classique, qui s’engouffrent dans les ouvertures du Rassemblement national sur la critique aussi bien de l’ADEME, de l’Office Français de la Biodiversité, que des Parcs nationaux…, toutes ces grandes agences sont mises en cause politiquement. Alors pour l’instant, il n’y a pas de traduction, mais ça n’est plus tabou. Et il y a une surenchère de la fameuse approche « ça suffit l’écologie punitive ».
Forcément, les combats que l’on mène vont être de plus en plus difficiles, avec des moyens moindres. Pour le moment, au niveau des politiques entre guillemets « classiques », il n’y a pas de remise en question du consensus scientifique sur le changement climatique ou la biodiversité, mais cela pourrait ne pas durer.
Oui, pour le moment, c’est juste que la loi est insuffisante, pas suffisamment appliquée ou mal. A ce propos, vous avez beaucoup de juristes dans vos équipes, qui travaillent sur le temps long, et cela aussi demande un budget conséquent ?
C’est de plus complètement aléatoire. On peut avoir des résultats positifs, comme négatifs. Nous sommes très prudents sur le juridique, parce qu’on peut écoper de pénalités. Mais tout ça pour dire que le cadre est effectivement défavorable, à la fois sur l’évolution économique de notre pays, avec cette fameuse dette, avec des inégalités, des partages de richesses totalement inéquitables, des choix politiques et des orientations budgétaires qui vont à l’encontre de ce que nous pouvons porter pour l’environnement, et de ce qui est reconnu comme des coûts futurs.
Les politiques nous serrent la ceinture parce que finalement l’écologie, il y en a un petit peu assez, ça suffit, et puis ils parlent beaucoup, ils ne font pas grand-chose. Mais ce qu’on défend, nous, concerne aussi l’économie du futur !
Parce que tout euro investi aujourd’hui permet d’éviter des coûts faramineux ?
C’est ça. La société constate aujourd’hui de plus en plus clairement que la dette écologique va être extrêmement importante, et ne cesser de s’aggraver dans les années à venir. Cette contradiction là, on va la prendre de face.
Ce qu’il faut peut-être dire aussi, pour conclure, concerne la mobilisation des consciences. On voit bien qu’on ne peut pas compter sur l’État, sur les financements publics. Comme d’autres pans du secteur associatif, nous essayons de nous tourner vers des financements privés, mais c’est aussi une autre paire de manches, qui engage à travailler avec des acteurs loin d’être tous limpides.
La solution, en tout cas la piste de solution, c’est quand même l’élévation de la lucidité et la participation du plus grand nombre. Nous sommes dans une région où il y a 5 millions d’habitants ; si une partie, ne serait-ce qu’un centième, s’engage sur des actions, des dons aussi petits soient-ils, on va se donner une autonomie importante et en même temps une capacité de travail forte.
Dans cette impasse, nous sommes obligés de raisonner différemment, de former une dynamique citoyenne et sociale. Parce que tout ce que l’on raconte là sur l’écologie a des répercussions sur la vie au quotidien, donc le social.
Bien-sûr, c’est articulé.
On peut faire le parallèle avec le syndicalisme qui, dans les années 1940, 1950, comptait des millions de personnes syndiquées. Aujourd’hui, cela a beaucoup diminué. Il y a un rapport de force qui n’est plus en faveur des salariés. Eh bien de la même manière, sur les consciences autour de l’environnement, il faut qu’on se mobilise.
Propos recueillis par Gaëlle Cloarec, le 12 novembre 2025













