Brûler des arbres pour produire de l’électricité, ce n’est pas l’idée du siècle. C’est ce que défendent depuis des années associations de protection de l’environnement et collectifs de riverains à Gardanne. Sur le site de l’ancienne usine à charbon, une centrale à biomasse, exploitée depuis 2019 par GazelÉnergie, filiale du groupe EPH du magnat tchèque Daniel Křetínský, a des conséquences sur la forêt, le climat et la santé des habitants.

Le bois-énergie, ça ne tient pas la route

Son activité était censée répondre aux objectifs d’accélération du développement des énergies dites durables. Sauf qu’à l’échelle industrielle, la « bio-énergie » présente d’énormes inconvénients : outre la déforestation sur des zones toujours plus grandes, sa combustion dégage des gaz à effet de serre. Rien de bon pour limiter le changement climatique. D’après le second principe de la thermodynamique, c’est même une aberration énergétique. Car, dans ce type d’opération, tout est biaisé : la viabilité économique d’une telle activité ne tient que grâce aux subventions. Mais surtout, elle masque un phénomène de déperdition de grande ampleur. Il faut de l’énergie pour couper le bois, le conditionner, le transporter, faire tourner les machines, distribuer l’électricité, etc.. Brûler des arbres en provenance du Brésil pour chauffer la Provence n’est tout simplement pas rentable. Pas plus que déforester les forêts locales ne fait sens, alors que le climat se détraque et la biodiversité s’effondre. Par ailleurs, cela occasionne de graves nuisances pour les riverains : un trafic routier important pour les acheminer, sans parler du bruit des engins, et des poussières, cendres et fumées chargées en particules fines, issues des cheminées.

Élargir la consultation publique

Le 27 mars 2023, le Conseil d’État a annulé l’autorisation d’exploiter, parce que « les incidences environnementales susceptibles d’être provoquées et l’exploitation de la chaudière fonctionnant au bois n’ont pas été prises en compte au même titre que les incidences directes dans les études d’impacts ». Ces études, précise l’association Convergence écologique du Pays de Gardanne, dans un communiqué, n’avaient pas respecté le code de l’environnement, car elles n’ont concerné que quelques communes proches de la centrale, sans inclure celles où le bois devait être abattu. La Cour Administrative d’Appel de Marseille a donc ordonné une nouvelle étude des impacts directs et indirects, et une nouvelle enquête publique dans les communes concernées. 324 en tout, dans 16 départements : Alpes de Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse, Ardèche, Gard, Drôme, Isère, Ariège, Aude, Aveyron, Hérault, Lozère et Pyrénées Orientales. L’enquête se déroulera du 5 mai au 6 juin 2025 inclus, avec une série de rencontres prévues pour informer la population. Toute personne qui le souhaite peut y participer en déposant une contribution sur les registres en mairie et par voie numérique. Faire entendre l’avis des citoyens sur ces questions d’intérêt général, haut et clair, est important. Il pourrait n’être pas écouté, mais non formulé, il le serait encore moins.

Gaëlle Cloarec, le 6 mai 2025



Liste des 11 réunions publiques :

  • Mardi 06 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Hôtel de Ville
    18 boulevard de la République
    04190 Les Mées
    Réserver
  • Mardi 13 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle des Pénitents Blancs
    27 place du Docteur Cavaillon
    84200 Carpentras
    Réserver
  • Mercredi 14 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Centre Laure Pailhon
    8 rue Leon Alègre
    30200 Bagnols-sur-Cèze
    Réserver
  • Jeudi 15 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Maison Daniel Cordier (Maison de la Vie Associative) Salle Jean Farret
    2 rue Jeanne Jugan
    34500 Béziers
    Réserver
  • Lundi 19 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle des Fêtes
    Place du Saguenay
    48400 Florac Trois Rivières
    Réserver
  • Mardi 20 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Maison de Projet
    29 rue Sully Prudhomme
    30100 Alès
    Réserver
  • Mercredi 21 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle Henri Rolland, 1er étage
    14 rue Roger Salengro
    13210 Saint-Rémy-de-Provence
    Réserver
  • Jeudi 22 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Maison du Peuple
    92 avenue Léo Lagrange
    13120 Gardanne
    Réserver
  • Lundi 26 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Hall des Expositions
    Cours de la Liberté
    83170 Brignoles
    Réserver
  • Mardi 27 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle des fêtes
    Place Gabriel Péri
    84400 Apt
    Réserver

Pour s’y rendre avec une idée précise des enjeux, le dossier de France Nature Environnement concernant la centrale : https://fnepaca.fr/dossiers/centrale-biomasse-de-gardanne

 

S’habiller avec des fripes est souvent perçu comme un acte écologique et solidaire. Acheter une veste ou un jean de seconde main semble avoir tous les avantages. Ça ne coûte pas trop cher, ça évite d’enrichir les grandes enseignes et ça permet de réduire les déchets. En apparence, recycler les vêtements s’inscrit dans un processus vertueux. La réalité est bien plus complexe. Emmanuelle Durand est anthropologue, elle a rédigé sa thèse sur l’économie du textile réutilisé. Elle en a tiré un livre, L’envers des fripes, paru en 2024. Lors de la Fête des Trucs, le week-end dernier, La Sauce, l’association étudiante d’Aix-Marseille Université, a organisé une conférence avec Emmanuelle Durand. Pendant près de deux heures, la chercheuse a décrit les circuits du recyclage textile et toutes les nuisances insoupçonnées qu’il comporte.

Souillure et déchets

La notion de fripe est assez floue juridiquement. Cela peut être un vêtement usagé, mais également un vêtement neuf invendu. Pour résumer, selon l’expression de l’anthropologue britannique Mary Douglas, c’est un vêtement qui présente une souillure, c’est-à-dire qui n’est pas à sa place socialement et symboliquement car il a perdu de sa valeur. Soit parce qu’il encombre nos armoires, soit parce qu’il encombre le stock d’un magasin. Le transformer en fripe lui redonne une valeur et le remet en circulation pour qu’il soit de nouveau utilisé. La vision de l’économie de la fripe est faussée car on ne retient souvent que ces deux côtés de la chaîne : le vêtement dont on se débarrasse et le vêtement qui est remis en vente. Tout ce qui se passe entre ces deux étapes est invisibilisé. Ce parcours d’une extrémité à une autre est la problématique principale des fripes. Qui intervient pour que cette transmission ait lieu ? Et comment a-t-elle lieu ?

La circulation est à la fois spatiale et sociale. Dans les pays développés, des associations s’occupent de la collecte des vêtements. Il faut ensuite les trier, parfois les raccommoder, puis les emballer, les stocker, les transporter. La plupart de ces lots de textiles partent alors dans des pays du sud, où ils sont de nouveau triés. Puis, selon leur état, une partie est mise en vente sur le marché local, une partie est renvoyée dans les pays du nord pour être vendue dans les friperies, et une partie est jetée. Souvent, ces déchets textiles terminent sur d’immenses décharges à ciel ouvert dans les pays du sud. Emmanuelle Durand s’est intéressée au circuit entre l’Europe et le Liban. « En moyenne, sur une balle de 50 kg de vêtements achetée sur le marché libanais, 40% ne sera pas utilisable », précise-t-elle.

Déchets textiles © XDR

Déchets textiles © XDR

Exploitation logistique

Toute cette circulation intermédiaire entre la collecte et la revente est réalisée, dans les pays du nord et du sud, sur des territoires similaires : des milieux péri-urbains, où se trouvent des hangars, à l’intérieur desquels ont lieu les activités de tri, d’assemblage, d’emballage, de stockage, de transport, de livraison. Dans ces entrepôts, au sud comme au nord, les emplois sont précaires, celles et ceux qui les occupent sont exploités, mal rémunérés, les conditions de travail sont dégradées. C’est dans ce monde urbain de la logistique que se crée la valeur. Ces territoires en déshérence sont les rouages indispensables du commerce des vêtements de récupération.

Ce circuit du recyclage à grande échelle est concurrencé depuis quelques années par les plateformes numériques. Dans ce cas, la vente de vêtements d’occasion n’a pas lieu en friperies, elle se fait entre particuliers. Les sites spécialisés mettent en avant l’économie circulaire, encouragent le geste simple de vider ses placards et de redonner vie à des habits qui dormaient. Cela semble contribuer à un modèle vertueux socialement et écologiquement. Mais c’est une situation en trompe-l’œil. Il est vrai que l’accès à la seconde main est facilité, des personnes qui n’en auraient pas eu la démarche, achètent des vêtements d’occasion via ces plateformes. Mais cela implique de la gestion de colis, du stockage et du transport, dans les territoires où cette logistique est déjà en place. Autre conséquence, le circuit du don est fragilisé. S’il est possible de revendre ses fonds de placard, les vêtements donnés sont ceux qu’on ne pourra pas monnayer. Les textiles collectés sont donc de moins bonne qualité et quand ils arrivent dans les pays du sud, ils sont plus nombreux à être inutilisables et finissent jetés. Sous l’apparence d’une attitude vertueuse d’économie circulaire, ces plateformes viennent amplifier la pollution textile à l’autre bout de la planète.

Profits pour l’industrie

Enfin, il reste un aspect majeur dans cette circulation des vêtements recyclés : le rôle de la production industrielle. « L’industrie textile et les fripes sont en fait complètement enchevêtrées », explique Emmanuelle Durand. Depuis longtemps, les industriels ont compris tout l’intérêt qu’ils avaient à accompagner la consommation de vêtements d’occasion. Dès les années 60 ou 70, lorsque les mouvements hippies ou punks réutilisent et détournent des bleus de travail ou des tenues militaires, l’industrie se met à produire des treillis neufs ou des vestes d’ouvriers. De même, quand la mode est aux habits usés, elle commercialise du prêt-à-porter déjà abimé, déchiré. Aujourd’hui, elle se sert de l’engouement pour la récup et en tire profit. L’industrie a même besoin du marché de l’occasion, car il lui permet de diffuser ses invendus. Sans la seconde main, l’industrie textile serait bloquée par son stock. Mais elle a au contraire la possibilité de s’en débarrasser, ce qui encourage et renforce sa surproduction. Il est plus rentable pour elle de nourrir un flux permanent de nouveautés et de reléguer ses invendus en fripes, ce qui entretient la surconsommation. Les articles de la fast fashion inondent aujourd’hui autant le marché du neuf que celui de la récup.

L’enquête d’Emmanuelle Durand met en lumière tous les paradoxes, les nuisances et les pièges du recyclage des vêtements. Il existe des moyens de les contourner, déjà en ayant conscience de ce fonctionnement, et en essayant de limiter son essor. Et en favorisant autant que possible les circuits courts, les échanges directs, locaux, informels. Dans le domaine des textiles comme dans d’autres, il est préférable de consommer des objets déjà fabriqués et de les faire durer. Mais la traçabilité d’un vêtement restera toujours difficile à établir, et la dimension éthique de ce commerce est une problématique complexe. La responsabilité de la société est de tenter de la résoudre.

Jan-Cyril Salemi
Avril 2025

 

Pour aller plus loin :
Emmanuelle Durand invitée de l’émission La Terre au carré sur France Inter

Comment avez-vous intégré le programme Alpatous ?

J’ai participé à la première session de formation, en 2021. Je l’ai découvert un peu par hasard, sur Internet. Je me suis toujours intéressé au pastoralisme, même si je vis en ville, car je fais beaucoup de randonnées. Quand j’ai commencé, le loup n’était pas encore arrivé, les troupeaux étaient plus facilement accessibles ; j’ai souvent discuté avec les bergers et bergères de leur métier, etc…

Un jour, j’ai commencé à voir ces chiens de protection. Je n’avais pas trop d’expérience, je ne savais pas comment me comporter. Cela s’apprend ! La formation présentait un double intérêt : à titre personnel, comprendre leur raison d’être et la façon dont il convient de réagir quand on les rencontre ; et aussi, comme beaucoup de jeunes retraités, je cherchais un projet où m’investir en tant que bénévole.

Vous avez suivi le retour du loup, dans les années 1990, et sa progression en France ?

Je m’intéresse aussi au loup, je fais partie, depuis 2021 également, du Réseau Loup Lynx, qui opère un suivi des populations, piloté par l’Office français de la biodiversité. L’OFB a également besoin de bénévoles, pour récolter des indices de présence.

Comment se passe la formation Alpatous ?

Elle se déroule sur deux journées, vendredi et samedi, pour permettre aux salariés de ne poser qu’un jour d’absence afin d’y assister. D’abord un temps théorique, en salle, avec des intervenants de l’OFB, sur la biologie et la vie sociale du loup ; la Direction départementale des territoires, souvent celle des Alpes-de-Haute-Provence, sur les aspects réglementaires, les aides, indemnisations ; le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée, concernant le pastoralisme ; et l’Institut de l’élevage, qui facilite la mise en place des chiens de protection chez les éleveurs. Puis le samedi après-midi, une visite sur le terrain, auprès d’un troupeau.

Ensuite, vous êtes opérationnels ?

En 2021, nous avons un peu essuyé les plâtres du programme. Il y avait une mise en pratique individuelle. Depuis, il y a eu des améliorations, par exemple depuis 2023, FNE a prévu des jeux de rôle durant la formation, pour permettre aux bénévoles de se familiariser avec la rencontre des usagers de la montagne. Une personne du groupe incarne un randonneur ou un vttiste, et l’objectif est de se préparer à lui apporter des informations sur la présence et le rôle des patous, comment interagir avec eux. Initialement, on travaillait un peu de manière isolée, chacun à proximité de chez lui. Aujourd’hui c’est différent, la responsable du programme propose des sorties en groupe de cinq ou six personnes. On essaie de couvrir les six départements de Paca.

Est-ce que les bénévoles d’Alpatous sont plutôt des retraités, comme vous, ou y a-t-il aussi des jeunes ?

Cette année je ne sais pas, mais sur les formations précédentes, les participants étaient d’âges et de profils variés. Depuis 2022 des professionnels sont aussi présents (guides, accompagnateurs en montagne, agents ou bénévoles des parcs régionaux). Le programme fonctionne bien, depuis 2023 il a été étendu à la région AURA, piloté par FNE Ain.

À quel rythme faites-vous des sorties de sensibilisation ?

On planifie en moyenne une sortie de groupe par semaine, parfois tous les 15 jours. J’en fais par ailleurs moi-même à titre personnel, d’avril à septembre, quand les troupeaux sont de sortie, chez moi dans le Vaucluse. Dans les Alpes, les grosses périodes de fréquentation des massifs sont plus concentrées sur juillet-août.

Troupeau en altitude -Alpes © Geneviève Barrillon

Comment se passent les interactions avec les usagers de la montagne ?

Personnellement, je n’ai jamais rencontré de personnes agressives. Une très faible minorité ne sont pas intéressés, auquel cas nous n’insistons pas, mais les gens sont plutôt réceptifs. Souvent, ils n’ont aucune notion de ce qu’est le pastoralisme, et encore moins des chiens de protection, donc ils sont curieux. Cela les rassure que nous leur transmettions les bonnes attitudes [ ndlr : rester calme, passer son chemin et contourner largement le troupeau sans courir, éviter les gestes brusques, ne pas leur donner à manger ou tenter de les caresser ]. Nous leur expliquons que le travail de ces chiens est la dissuasion, ce n’est pas de la défense ou de l’attaque.

Quelle est la nuance ?

Leur but est de décourager toute menace sur le troupeau. Certains considèrent qu’un chien qui avance vers eux en aboyant les agresse, alors que c’est leur fonction. Ils ne viennent pas pour mordre, mais pour faire comprendre au passant qu’il ne faut pas rester là. J’ai rencontré une fois une personne qui s’était fait mordre, mais elle m’a avoué après coup qu’elle avait traversé le troupeau, sans tenir compte de l’avertissement. Ce qu’il ne faut surtout pas faire !

C’est gratifiant, cette mission ?

Oui, beaucoup de gens nous remercient. Avec les éleveurs, c’était un peu compliqué au début, dans la mesure où FNE a plutôt une image d’association « pro-loup », ce qui ne leur plaisait pas forcément. Mais ceux que j’ai rencontrés récemment sont plus participatifs. Ils sont conscients que ces chiens posent des problèmes, certains se sont retrouvés au tribunal suite à une mauvaise rencontre de randonneurs avec un patou. En conséquence, ils les sociabilisent plus. Ce sont des chiens totalement autonomes, quand ils sont au troupeau, ils réagissent aux stimulis ; même si le berger est présent, il ne peut généralement pas les rappeler. Aussi on ne parle pas de dressage, mais d’éducation, pour qu’ils ne considèrent pas les humains comme une menace.

Et donc les éleveurs perçoivent vos interventions d’un meilleur œil ?

Ils y sont plus favorables à présent, car ils comprennent que plus nombreuses seront les personnes informées des bonnes attitudes à adopter, moins il y aura de problèmes. Depuis 2020, notamment suite au Covid, il y a beaucoup plus de monde en montagne, les gens ont besoin de nature. L’objectif principal du programme est que les différents usagers cohabitent bien.

Avec ce recul de quatre ans écoulés, vous en concluez que le programme est pertinent ?

Je pense qu’il l’est, en effet. Ces deux dernières années, j’ai rencontré sur les sentiers plusieurs adeptes de la bombe au poivre, qui craignaient les chiens de protection et n’auraient pas hésité à s’en servir « en cas d’urgence ». Je peux partager l’histoire d’un randonneur qui s’en est servi contre un patou, dans le 04 il y a quelques temps. Cela a rendu le chien plus agressif avec les personnes qui sont passées après. Ils sont comme nous, ils mémorisent ! Même un animal plutôt calme peut devenir agressif dans ces circonstances. La bombe au poivre est contre-productive.

Propos recueillis par Gaëlle Cloarec, le 24 avril 2025

Bernard Vallat © XDR

Lire aussi notre entretien avec Justine Poncet, responsable du programme Alpatous chez FNE Paca.

L’air que nous respirons a un impact majeur sur nos vies et notre santé. Mais que savons-nous vraiment de quoi se compose l’air ambiant ? Comment déterminer si cette atmosphère est saine ? Et si elle ne l’est pas, à quoi est-ce dû et comment y remédier ? Ces questions sont vastes, et il est parfois difficile de saisir ou de bien interpréter des données scientifiques sur ce sujet. C’est justement pour amener une approche citoyenne et participative autour de ce thème qu’a été lancé le projet Capt’Air Citoyen. Porté par AtmoSud et soutenu par France Nature Environnement PACA, il est mis en place depuis 2023.

Pendant plusieurs mois, des capteurs qui mesurent la qualité de l’air, intérieur et extérieur, sont fournis à des citoyen·nes. L’appareil est un boîtier, conçu en open source par AirCarto.

ModuleAir, capteur d'air intérieur @ AirCarto

ModuleAir, capteur d’air intérieur @ AirCarto

 

NebuleAir, capteur d'air extérieur @ AirCarto

NebuleAir, capteur d’air extérieur @ AirCarto

D’usage assez simple, il indique la teneur en particules fines et en CO2 de l’espace où il est installé. L’objectif est de collecter des données sur différents territoires (urbain, rural, littoral), et de les comparer entre elles et à celles des capteurs de références, déjà existants depuis de nombreuses années. La démarche citoyenne est mise en avant, ainsi que la prise de conscience, individuelle et collective, à laquelle cela peut conduire. L’initiative est utile, car elle offre une plus large répartition des points de mesure et permet de mettre en lumière des relevés ponctuels, localisés, qui viennent étayer les analyses de référence. Mais le dispositif compte aussi des limites et suscite des critiques, qui se sont exprimées lors du Forum Citoyen de l’Air.

Volonté citoyenne

Organisé le 4 mars à Marseille, dans l’Hôtel de Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (la Région est partenaire du projet Capt’Air), le Forum a dressé un bilan de l’expérience, et tracé des perspectives. Cette façon d’impliquer les citoyen·nes est toute récente, c’était seulement la deuxième édition du Forum, et des aspects restent à améliorer pour qu’une plus large partie de la population se sente concernée et représentée.
Mais la volonté des citoyen·nes de s’emparer de ces questions, notamment quand elles viennent directement heurter le cadre de vie et la santé, ne fait aucun doute.
L’objectif est de continuer à développer l’expérience et de passer d’une participation citoyenne à une véritable surveillance participative de la qualité de l’air.

Capteurs à l’école

L’an passé, une centaine de capteurs ont été répartis sur la région, chez des particuliers, ou dans des sites collectifs, comme des écoles. C’est la cas notamment dans la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes. Les boîtiers ont été installés dans plusieurs écoles de la vallée et leur utilisation a eu une portée à la fois sur la santé mais aussi sur les enseignements. Virgile Ganne est professeur spécialisé en Réseau d’Aide Spécialisées aux Élèves en Difficulté (RASED), il intervient dans 17 écoles de la région. Grâce aux capteurs, il a pu aborder avec ses élèves des notions abstraites de manière directe et ludique. « On est dans une pratique scientifique concrète, on peut mesurer ce qui se passe dans notre environnement, dans la classe et à l’extérieur ».

Capteur d'air dans une classe © AtmoSud

Capteur d’air dans une classe © AtmoSud

La prise de conscience est immédiate et efficace, du point de vue pédagogique comme sanitaire. Une forte concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans la salle de classe est identifiée et devient une réalité directement observable sur le capteur. Des situations élaborées, comme les effets sur la santé d’un élément invisible, peuvent être présentées très simplement. A terme, l’expérience pourrait se poursuivre à une plus grande échelle et s’étendre sur tout le territoire autour de Menton, en incluant des collèges et des lycées. « L’idée est de coordonner un réseau d’initiatives et d’amener à une réflexion avec les élèves sur ce que c’est d’être co-auteur de son environnement. » Les capteurs fournissent les données, permettent de situer les différents types de pollution et peuvent conduire à faire des choix pour améliorer la situation.

Rendre visible l’air

Ailleurs, au Beausset, dans le Var, des capteurs ont aussi été installés dans une zone industrielle, qui concentre une forte circulation automobile. Deux écoles se trouvent à proximité de ce point de passage de nombreux camions, et les relevés à cet endroit ont repéré des mesures équivalentes à celles du centre-ville de Toulon ou Marseille. Mais ce que révèlent aussi ces données, ce sont des pics importants, attribués à des brûlages de déchets verts ou à des feux de cheminée.

Brûlage de déchets verts © FNE PACA

Brûlage de déchets verts © FNE PACA

De même, à Marseille, une haute concentration de pollution est due à l’activité de restaurants et snacks qui cuisinent au feu de bois. Des résidents de Noailles et Belsunce, en centre-ville, qui étaient équipés de capteurs, ont constaté la dégradation de la qualité de l’air ambiant en raison de ces fumées de cuisine. « Ça a permis de rendre visible l’air », résume Magali Guyon, de l’association Air Citoyen, qui s’est créée récemment à Marseille pour mener des actions contre la pollution atmosphérique. « En participant à Capt’Air, on s’est rendu compte de l’utilité de mieux connaître l’air qui nous entoure », ajoute-t-elle.

Données manquantes

D’autres personnes présentes au Forum, sans contester l’utilité du dispositif, s’interrogeaient sur ses capacités à être véritablement efficace. Des résident·es du nord de Marseille, de Gardanne ou de Fos-sur-Mer, n’ont pas caché leurs doutes sur la portée du projet Capt’Air. Sur le littoral nord marseillais, l’association Cap au nord pointe l’absence d’une station de mesure de référence dans cette zone. Elle sera bientôt installée, assure l’équipe d’AtmoSud, ce qui permettra d’avoir des données plus fiables. « Il faut des capteurs agréés, qui restent plus de 6 mois sur place, et hors hiver. C’est au printemps qu’on saura mieux l’ampleur du lien de la pollution avec les bateaux de croisière et l’autoroute », insistent les membres de l’association.

Bateaux de croisière sur le littoral nord de Marseille © Cap au nord

Bateaux de croisière sur le littoral nord de Marseille © Cap au nord

A Gardanne, un intervenant demande que des vérifications soient faites sur des pics observés de nuit près de la Centrale thermique de Provence. Pour ce riverain, il est nécessaire que la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) mène une enquête approfondie sur ces pics de pollution, afin d’en connaître exactement la provenance et la teneur. A Fos, un constat similaire est dressé par les habitant·es : la pollution industrielle n’est pas réellement prise en compte par les capteurs. C’est la principale limite du dispositif, les boîtiers ne sont pas assez performants pour détecter les particules ultrafines ou les nanoparticules.

Les relevés des capteurs à Fos, qui ne repèrent que les particules fines, attribuent principalement la dégradation de l’air aux feux de cheminées des maisons. Mais ces conclusions ne convainquent pas les habitant·es. « Il nous faut des données sur les industries, lance l’un d’eux. Les feux de cheminées ne peuvent pas tout expliquer. La pollution industrielle est forte à Fos, les capteurs et les stations de référence doivent être installées à des endroits où elles pourront la détecter ». Mathieu Izard, ingénieur à AtmoSud, ne nie pas la présence d’une pollution industrielle à Fos. Il explique toutefois que les feux de cheminée individuelle sont une source de pollution élevée. Ils peuvent circuler et être ressentis sur des kilomètres, et se mêler ainsi aux particules ultrafines issues des industries, qui elles, sont bien plus difficiles à détecter.

Fumée au-dessus de Fos-sur-Mer © AtmoSud

Fumée au-dessus de Fos-sur-Mer © AtmoSud

 

Fumée de cheminée individuelle © AtmoSud

Fumée de cheminée individuelle © AtmoSud

Améliorations à venir

Pour la récolte de données de 2025, une centaine de capteurs citoyens seront de nouveau distribués dans toute la région. Des contraintes, à la fois techniques et financières, freinent un déploiement plus large. Une vingtaine de ces boîtiers seront toutefois plus précis et pourront repérer le SO2 (dioxyde de soufre). Cette molécule, qui peut causer des maladies respiratoires, est émise notamment sur des sites industriels, et par la combustion de pétrole et de gaz. Cela permettra encore d’affiner les mesures et de poursuivre sur cette voie de la surveillance participative. Mais un écueil restera à franchir. Pour que cette implication citoyenne prenne tout son sens, il faut qu’elle ait de réelles conséquences sur les orientations politiques. Même si la question de la qualité de l’air est mieux considérée, les actions menées par les pouvoirs publics ne sont toujours pas à la hauteur de l’enjeu. Actuellement, près de 2 millions d’habitant·es de la région, (un tiers de la population) sont exposé·es aux principaux polluants atmosphériques, selon les derniers seuils établis par l’Union Européenne. L’horizon 2030 est fixé pour se conformer à ces normes. Si les décisions ne sont pas prises pour modifier les comportements, ralentir l’activité industrielle et réduire la circulation des transports toxiques, la mobilisation citoyenne ne servira qu’à faire le constat de cet immobilisme.

Jan-Cyril Salemi
Mars 2025

 

Mobilisation pour la qualité de l'air à Marseille, en mars 2020 © Gaëlle Cloarec

Mobilisation pour la qualité de l’air à Marseille, en mars 2020 © Gaëlle Cloarec

 

À Marseille comme dans d’autres villes de France, le 7 mars 2025 était une journée de mobilisation pour les scientifiques. Devant le Muséum d’histoire naturelle, au parc Longchamp, ils étaient nombreux à rejoindre le mouvement Stand up for Science, qui dénonce aux États-Unis la politique de Donald Trump. Les recherches sur les inégalités sociales, la santé et la protection des milieux naturels n’ont pas l’heur de lui plaire. Les libertés académiques, un des piliers d’une démocratie, ce n’est pas son truc. Entre censure et licenciements, la situation se corse pour le secteur scientifique, pourtant bien partie prenante du système capitaliste. Les milliardaires veulent sa peau. Ce n’est une bonne nouvelle ni pour le climat, ni pour la biodiversité, ni pour les femmes, ni pour ceux qui s’interrogent sur leur sexualité, ni pour les pauvres, ni pour ceux qui ont la peau trop foncée… et la liste est encore longue.

Les marseillais·es se sont passé le micro pour dire leur indignation. Parmi eux, un jeune chercheur en sciences sociales a été fort applaudi. Qui Vive est allé l’interviewer.

Interview : Gaëlle Cloarec, accompagnée de Lou Veyrat-Parisien
Le 7 mars 2025

Extraits musicaux : The Magnetic Fields – The Day the Politicians Died


Merci à Thomas Vaisse, doctorant en socio-anthropologie à l’EHESS Marseille, de nous avoir envoyé le texte de sa prise de parole pour publication :

« Nous sommes réunis aujourd’hui dans cette ville à l’immense histoire, qui a toujours été et qui est encore, un centre de bouillonnement intellectuel, social et culturel incroyable, pour annoncer collectivement et publiquement que nous ne baisserons pas les yeux et que nous ne resterons pas assis, face aux attaques incessantes et toujours plus violentes contre les libertés académiques, contre l’indépendance de la recherche scientifique et son enseignement, et plus largement contre le droit à un savoir de qualité pour toutes et tous. Nous resterons debout !

Aucun projet démocratique véritable n’existe sans le partage des savoirs, au-delà des classes sociales, des genres, des couleurs et des frontières. La science est un bien commun sans égal car elle permet aux êtres humains de mieux comprendre le monde dans lequel ils et elles vivent et donc d’agir dessus pour le rendre plus juste. Les attaques, qu’elles prennent, ailleurs, la forme des bras tendus trumpistes ou de la tronçonneuse de Milei, ou ici, des accusations d’islamo-gauchisme, de khmers verts, des coupes budgétaires et de la hausse des frais d’inscriptions ont le même objectif : soumettre la science, sa transmission et son partage aux puissances politiques et financières, fracasser toute résistance aux visées prédatrices des plus puissants envers les humains et l’environnement, annihiler toute critique envers un monde qui porte en lui tant d’injustice et de violence.

Les sciences humaines et sociales sont particulièrement touchées car elles remettent en cause les préjugés et les idées préconçues sur les êtres humains, leurs histoires et leurs vies en société. Parce qu’elles refusent une vision simpliste et binaire du monde social. Parce qu’elles veulent entendre des voix étouffées, cherchent à écrire sur des personnes qui vivent à l’ombre des projecteurs. On perçoit dans nos chaires aujourd’hui la matérialisation de l’inversion du sens des choses, quand sous prétexte de lutter contre une soi-disant « cancel-culture » on en vient à « cancel », dans son sens le plus strict, c’est à dire annuler, des recherches, des enseignements et même des mots qui n’auront plus le droit de citer et d’être cités sous peine de licenciement ou de suppression des crédits alloués. Mais ces recherches, ces sujets, ces mots ne sont pas issus des fantasmes ou des fantaisies de quelques bobos déconnectés de la réalité sociale, ils sont issus de cette réalité sociale, ils émergent d’expérience vécues, ils naissent par la voix d’individus et de collectifs qui racontent leurs souffrances ou leurs envies, leurs rêves ou leurs oppressions. En supprimant des mots c’est la capacité de penser et de comprendre ces réalités sociales qui est en vérité attaquée, qui est rejetée, qui est « cancel ». C’est la capacité des sciences sociales à soulager des douleurs, à aider concrètement le quotidien des êtres humains, à transformer le monde qui est étranglée.

Ils se targuent de la liberté d’expression mais souillent la liberté de comprendre, bâillonnent celles et ceux qui n’ont pas voix au chapitre dans l’histoire officielle ou sur les chaînes d’informations en continu. La violence des attaques contre les universitaires aux États-Unis, en Argentine, en Europe et dans tant de pays, notamment celles qui se développe en France et qui s’affiche de plus en plus sans vergogne, est la marque de l’intolérance la plus abjecte, celle qui a mené des scientifiques devant des juges et des potences car elles et ils refusaient l’ignorance des peuples, si fertile a la tyrannie des puissants. Les tronçonnages budgétaires, l’élitisme, les privatisations, la hausse des frais d’inscriptions, la précarité financière et professionnel de tant de chercheuses et de chercheurs et la mise en compétition générale des établissements, des personnes et des disciplines sont aujourd’hui les moyens de soumettre la science aux intérêts économiques et politiques de quelques-uns, de déposséder les peuples de leur droit d’accéder à des connaissances de qualité et critiques, de participer directement à leur production.

Mais nous ne resterons pas assis, nous défendrons la démocratisation des savoirs, au-delà des frontières et des nations, comme bien commun de l’humanité. Face à Trump qui annonce que les États-Unis ne seront plus « woke », ce qui signifie si on revient au sens premier du mot que les États-Unis ne seront plus éveillés, nous sommes des millions d’universitaires, d’étudiantes et d’étudiants à lui promettre que nous, nous ne nous endormirons pas ! »

Prononcé à Marseille le 7 mars 2025.

Thomas Vaisse © Lou Veyrat-Parisien
Stand up for science à Marseille le 7 mars 2025 © G.C.
Stand up for science à Marseille le 7 mars 2025 © G.C.
Stand up for science à Marseille le 7 mars 2025 © G.C.

 

Stand up for science à Marseille le 7 mars 2025 © G.C.

Qui Vive va publier régulièrement des contenus en partenariat avec France Nature Environnement Paca. Pour commencer cette série, notre journaliste-vidéaste Thomas Khairallah est allé interroger Magali Boyer, animatrice Nature Environnement, et Judith Sébert, juriste Environnement. Elles nous présentent l’application Sentinelles de la nature, une plateforme numérique de signalement permettant à tout citoyen de lancer l’alerte s’il découvre une décharge illégale ou autre atteinte aux écosystèmes.

Sur ces liens, le site sentinellesdelanature.fr et son application mobile, disponible sur Google Play et Apple Store.

Une vidéo réalisée par Thomas Khairallah, le 2 décembre 2024
Musique : Wilfrid Rapanakis-Bourg