Le 18 septembre, le programme européen d’observation de la Terre Copernicus a publié un rapport alarmant : le vieux continent a atteint un record d’émissions de dioxyde de carbone liées aux feux de forêt estivaux. Les incendies forestiers européens ont libéré 12,9 mégatonnes de carbone lors de l’été 2025. Le précédent record, datant de 2017, s’élevait à 11,4 mégatonnes.

Comme chaque été, le département des Bouches du Rhône n’a pas été épargné par les flammes. Dès le 8 juillet dernier, un départ de feu au nord des Pennes-Mirabeau a consumé près de 750 hectares de végétation, s’étendant jusqu’aux quartiers Nord de Marseille. Quelques jours plus tard, le 20 juillet, un incendie a parcouru plusieurs centaines d’hectares sur la commune de Martigues. Le 28 juillet, les communes de Port-de-Bouc et des Pennes-Mirabeau ont de nouveau été touchées, avec plus d’une dizaine d’hectares détruits. Enfin, le 8 août, 4 000 m² de végétation sont partis en fumée dans le massif de Puyloubier.

Selon le bilan des marins-pompiers de Marseille publié le 18 septembre, l’été 2025 a été marqué par 81 jours de lutte contre les flammes et 365 départs de feu. Même si ces incendies représentent une faible proportion des feux de forêt européens, ils ont contribué à libérer des dizaines de milliers de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

Il semble donc plus que jamais impératif de tenter de prévenir ces incendies pour les éviter afin de protéger les forêts européennes et provençales tout en réduisant les émissions carboniques. La lutte contre les feux de forêts représente donc un enjeu tout aussi important à l’échelle locale qu’à l’échelle internationale. D’autant plus que les incendies détruisent la végétation, assèchent les sols et rendent les milieux plus vulnérables à de nouveaux feux. En libérant d’énormes quantités de carbone, ils aggravent aussi le réchauffement climatique, qui à son tour favorise sécheresses et vagues de chaleur propices aux incendies.

Face à cette urgence, certaines initiatives locales tentent d’apporter des solutions concrètes. L’association Replanter Notre Forêt Provençale œuvre par exemple au reboisement de zones sensibles avec des variétés d’arbres plus résistantes aux flammes, créant ainsi de véritables barrières végétales. En partenariat avec le Service Départemental d’Incendie et de Secours des Bouches-du-Rhône, elle s’apprête à lancer une action dans la région de la Côte Bleue.

Amélien Gay,
le 21 septembre 2025

18 septembre 2025. Deuxième grosse journée de mobilisation dans la foulée du mouvement « Bloquons tout », rejoint par les syndicats. Les français en ont marre de n’être jamais entendus par le gouvernement, ils haussent le ton en manifestation. A Marseille, la foule est impressionnante. Sur les banderoles et pancartes, des revendications sociales, la dénonciation d’une politique qui renforce les inégalités, détruit les services publics. Des références à la politique étrangère : Gaza, Trump… Beaucoup affichent des positions anti-fascistes et anti-militaristes.

Mais on observe aussi de nombreux slogans écolos : « Pour défendre le vivant, à bas le capitalisme » ; « La santé publique a Duplomb dans l’aile » ; « Objecteur de croissance : produire moins, partager plus, décider ensemble ». Les travailleurs en grève du Parc national des Calanques portent des tee-shirts « Biodiversité menacée », avec le fameux logo en spirale dégoulinant de sang : si le budget prévu par l’ex-Premier ministre François Bayrou avait été adopté, les Parcs nationaux auraient perdu un tiers de leurs effectifs et leur statut d’établissements publics.

Tout ceci peut sembler un peu fourre-tout, mais démontre le gouffre abyssal entre les priorités du peuple et celles du pouvoir. Derrière le kaléidoscope des manifestants, se dessine un tableau très cohérent dans le refus : s’ils ne sont pas tous d’accord sur ce qu’ils voudraient -et c’est tant mieux-, en tout cas, de cette société-là, ils n’en veulent pas ! Qui Vive, intrigué par une pancarte mêlant enjeux très locaux et nationaux, a tendu son micro à l’un d’entre eux.

Gaëlle Cloarec, le 18 septembre 2025

Manifestation du 18/09/25 à Marseille. Un manifestant tient une pancarte "Non au Boulevard Urbain Sud / Macron démission" © Gaëlle Cloarec

Manifestation du 18/09/25 à Marseille. Une manifestante tient une pancarte "No nature, no future" © Gaëlle Cloarec

Manifestation du 18/09/25 à Marseille. Un manifestant tient une pancarte "Objecteur de croissance : produire moins, partager plus, décider ensemble" © Gaëlle Cloarec

Manifestation du 10/09/25 à Marseille. Un manifestant tient une pancarte "Démocratie directe : pour défendre le vivant, à bas le capitalisme" © Gaëlle Cloarec

Manifestation du 10/09/25 à Marseille. Affiche "Non à la loi Duplomb" © Gaëlle Cloarec

Qui Vive : Cet été chez FNE PACA, vous avez travaillé sur l’éducation à l’environnement, et publié un projet pédagogique. En quoi est-ce important ?

Magali Boyer : L’un de nos bénévoles, Michel Blanchet, préfère employer l’expression « éducation par l’environnement ». Il a raison : pour développer une relation sensible à la nature, c’est bien d’avoir la théorie, mais aller se balader et la connaître directement donne beaucoup plus envie de la protéger. D’où l’importance de cette approche dans notre démarche éducative. Le projet pédagogique établit nos objectifs : pourquoi on fait cela, avec quels moyens ?

Concrètement, que proposez vous ?

Nous multiplions les sorties de terrain. Nos fédérations départementales en organisent beaucoup. Nos collègues haut-alpines ont aussi des Butineries, espaces pédagogiques et refuges de biodiversité, qui peuvent accueillir des chantiers participatifs. Cela peut être la création d’une mare, ou d’une spirale aromatique… Mais comme on ne peut pas être tout le temps au contact de la nature, nous l’amenons aussi un maximum au public dans le cadre de nos rencontres et ateliers en intérieur : des plantes, planches naturalistes, etc..

Atelier milieux littoraux © FNE Paca

Atelier milieux littoraux © FNE Paca

Eh oui, pas facile de voir la nature quand on habite en milieu urbain !

Certes, mais on peut ouvrir les yeux sur celle qui est présente, malgré tout, en ville. Et puis donner envie de sortir, de la découvrir. Nos films sur les espaces naturels de la région ont un but informatif, mais montrent aussi leur beauté. Ils insistent sur les liens entre les humains et les milieux, la biodiversité… Quel est notre impact, mais aussi comment on peut intervenir pour les protéger ? Dans ces films, tout le monde a droit à la parole. Parfois certains acteurs expriment des points de vue avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, mais on ne censure pas, c’est important.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Durance 360°, qui vient compléter notre exposition sur les enjeux humains, économiques, écologiques liés à la rivière, à travers le témoignage d’une grande diversité d’acteurs. Agence de l’Eau, Fédération de pêche, Chambre d’agriculture, usagers, associations de terrain… Il ne s’agit pas, pour autant, de tomber dans les beaux discours, le greenwashing ! Certains parlent très bien… Lors des débats qui suivent les projections, on questionne le fait que l’économie passe en priorité par rapport aux intérêts du milieu naturel. Notre but est d’apporter de la nuance, de relever les différences entre ce qui est dit et la réalité des actions.

Comment trouver les propositions pédagogiques de FNE Paca ?

Sur notre site ! Une nouvelle page met à disposition le projet pédagogique à télécharger, avec notre catalogue d’animations et un centre de ressources qui recense divers outils pédagogiques ancrés dans notre territoire régional, films, fiches explicatives… Nous l’étoffons au fur et à mesure, les podcasts vont arriver bientôt. Pour le moment, les visites au centre de tri des Pennes Mirabeau sont suspendues à cause de l’incendie qui a eu lieu cet été, mais nous mettrons à jour les propositions régulièrement.

C’est un travail au long cours.

Oui ! Nous espérons arriver à quelque chose de complet d’ici la fin de l’année. Donc si je suis professeur, ou que je travaille en structure d’animation, je pourrai y trouver nos ateliers, sur le cycle de l’eau ou autre thème. Si je veux être bénévole pour faciliter la cohabitation avec le loup, les coordonnées des personnes à contacter pour intégrer le programme Alpatous. Si je veux accueillir l’exposition Durance dans ma médiathèque, idem. L’objectif est que citoyens, structures associatives, collectivités, institutions s’y retrouvent. Ce sera utile, j’espère ! On a tous besoin de cet accès à la nature, on l’a bien vu au moment du Covid. Cela devrait être un droit.

Y compris pour les « publics empêchés ».

Tout à fait ! Cela participe de la direction que je voudrais donner à mon poste. Aller vers les personnes emprisonnées, handicapées. Ou ceux qui ne se sentent pas concernés, car la nature ne tient pas une part importante dans leur vie. Pas besoin d’avoir un bac + 5 pour la découvrir !

Propos recueillis par Gaëlle Cloarec, le 3 septembre 2025

Sortie sur le littoral Méditerranéen © FNE Paca

Sortie sur le littoral Méditerranéen © FNE Paca

 

 

Sous le soleil de Méditerranée, espaces littoraux et riches petits fonds côtiers font l’objet de notre convoitise généralisée : pêche, villes, ports, plages, plongée, plaisance… Nos activités marquent de leurs empreintes des milieux toujours plus vulnérables au changement climatique, et affectent le Vivant.

Faut-il choisir entre la biodiversité exceptionnelle et la biodiversité ordinaire ? Où et comment développer et gérer des aires marines protégées efficaces en Méditerranée française ? Comment porter et défendre la parole des habitant·es et usager·es, la voix du Vivant au sein des instances de concertation et de décision ? Jusqu’où le développement de nos territoires est-il compatible avec un cadre de vie sain pour les habitant·es des rives de Méditerranée ? Comment lutter contre les rejets urbains et pluviaux en mer ? Comment penser nos aménagements pour rendre au littoral un espace de bon fonctionnement, engager la recomposition spatiale, réinventer nos espaces de vie et y associer les non-humains ?

Voici quelques thématiques débattues lors de ces ateliers embarqués, organisés par notre partenaire FNE PACA.

Retrouvez ci-dessous les interviews complètes en podcasts de :

Nathalie Caune, Pilote du réseau mer de FNE PACA

Sarah Wolf, Responsable territorial LPO PACA

Charles-François Boudouresque, Biologiste

Découvrez ici le plaidoyer de FNE PACA pour une Méditerranée vivante.

Vidéo et podcasts : Nicolas Delcros (images sous-marines additionnelles Elio Paris)
Le 11 juin 2025

 

 

 

 

Dans la grande famille des guides de voyage, le petit dernier des éditions Ulysse est bienvenu, pour tous ceux qui sont tentés par le cyclotourisme mais hésitent encore à se lancer. Léger, synthétique, il est cependant très complet et tient les promesses de son titre : Oser le voyage à vélo. Avec le gros avantage d’aborder la dimension émotionnelle de l’aventure. Car il n’est pas évident d’affronter ses appréhensions, quand on n’a jamais tenté l’expérience, surtout en solo. Pour les femmes, en particulier, habituées à se méfier des comportements masculins.

Déclic psychologique

Mais cela tombe bien, l’auteure est une femme, et Laura Pedebas (alias la Cyclonomade) sait trouver les bons mots, sans minimiser le fait qu’encore aujourd’hui, voyager seule n’est pas une évidence. Sa conclusion, pour avoir elle-même franchi le pas et pédalé des milliers de kilomètres : on convainc davantage par l’exemple. Or, les exemples ne manquent pas, depuis la pionnière Annie Londonderry, qui en 1894-1895 a « bouclé son tour du monde sur un vélo lourd, sans vitesses, en portant le fameux pantalon large bloomer pour simuler une jupe ». Prendre la route, écrit-elle, nécessite avant tout… de résister aux inquiétudes et commentaires décourageants de son entourage.

Le danger n’est pas inexistant, bien-sûr, mais il réside surtout dans le fait de partager les voies de circulation avec les gros véhicules à moteur. Il faut donc, préconise Laura Pedebas, demeurer alerte, arborer couleurs vives, lumières et bandes réfléchissantes pour être visible, et privilégier des routes moins fréquentées, avec un bas-côté, quand il n’y a pas de pistes dédiées aux deux roues. Le vélo est, souligne-t-elle, un très bon moyen de se réconcilier avec le genre humain. Les cyclistes sont très souvent prêts à échanger des conseils, donner des coups de main, s’entraider. Cela réconforte quand le moral vacille, et invite à soi-même s’ouvrir à l’autre. Rencontrer autrui est plus facile en selle que quand tout le monde est enfermé dans l’habitacle d’une voiture ou plongé le nez dans un écran…

Les immenses atouts de la bicyclette

Si pédaler améliore la santé physique et mentale, c’est aussi un bon moyen de ralentir nos vies modernes effrénées. Sortir sans voiture, passer du temps dans la nature, faire de l’exercice physique… Quand on avale les kilomètres grâce à ses propres muscles, on développe le sens de l’orientation, gagne en autonomie et estime de soi. Il va sans dire que le vélo est un moyen de transport très écologique, avec un bilan carbone bas, une robustesse et une réparabilité hautes. Il y a donc une vraie dimension politique à ce choix, outre le fait d’encourager l’émancipation féminine évoqué plus haut.

C’est aussi une excellente école de la vie : tous les aléas du transport à bicyclette apprennent à improviser, respecter ses limites physiques, lâcher prise. Avant de partir, il est bon de s’exercer à changer une roue (il existe dans de nombreux endroits des maisons du vélo, avec des permanences d’entraide gratuite, parfois non mixtes pour plus de tranquillité), s’équiper d’une trousse à outils, bien choisir son matériel et ses vêtements pour qu’ils soient les plus légers, compacts et efficaces possibles. Le guide regorge de bons conseils, comme le fait d’enrouler sa gourde dans un linge mouillé en cas de grosse chaleur, pour la maintenir fraîche. Le plus important : prévoir de l’eau en quantité, manger des légumes et fruits qui en contiennent beaucoup comme le concombre ou la pastèque. Établir son itinéraire s’apprend aussi : un cycliste non sportif roule à une vitesse moyenne de 12 km/heure, nous dit Laura Pedebas, et peut parcourir de 50 à 80 km par jour. Il faut penser à se reposer, faire des étirements après l’effort, consulter la météo et le relief avant de partir.

Tous en selle

L’un des avantages du cyclotourisme, et non le moindre, est son coût relativement bas : pas d’essence ou de péage, des campings plutôt que des hôtels… Le prix du guide peut donc faire tiquer : près de 23 €, n’est pas rien quand on a un budget serré. Mais il peut s’emprunter à la bibliothèque, ou se prêter, une fois lu, quand on a sauté le pas d’oser le voyage à vélo, pour convaincre ses proches de s’y mettre.

Car si pédaler tout seul, sans compromis, est un régal, tout ceci peut se pratiquer avec des inconnus, en amoureux, entre amis, en famille. Les enfants gagnent eux aussi énormément à partir ainsi en voyage. « Il faut que les jeunes se dépensent, s’activent et passent du temps dehors, rappelle l’auteure. Les études scientifiques abondent en ce sens, et démontrent aussi que notre jeunesse ne bouge plus assez. » Circuler à vélo est propice à apprécier la beauté des paysages. Célébrer les victoires en groupe, quand même le plus jeune ou le moins sportif a franchi le col difficile, est une grande joie.

Gaëlle Cloarec
3 juillet 2025

Oser le voyage à vélo
Laura Pedebas
Guide Ulysse, 22,99 €

L’Américaine Eowyn Ivey vit en Alaska avec sa famille. Elle connaît bien ce territoire farouche, qui servait déjà de décor à son premier ouvrage, L’enfant de neige, best-seller paru en 2012, finaliste du prestigieux prix Pulitzer, et désormais disponible dans la collection Totem des éditions Gallmeister. De cette histoire à la lisière du surnaturel, on retrouve certains échos dans Une histoire d’ours. Tant de légendes circulent dans le Grand Nord autour des ours et des grizzlis…

Difficile de résumer ce roman sensible, émouvant, tout à la fois chronique familiale, histoire d’amour et conte fantastique. En écrire trop romprait le charme et surtout gâcherait certaines surprises de l’intrigue. On peut tout de même tenter l’aventure, comme le fait Birdie, l’une des protagonistes principales. Birdie donc est une mère célibataire, affranchie et débrouillarde mais un peu paumée. Elle élève seule sa fillette Emaleen. Toutes deux vivent dans un lodge au bord de la rivière Wolverine, avec vue sur les montagnes. Birdie travaille au bar de Della, mais elle ronge son frein. Elle sent que sa vraie place n’est pas là, à servir des verres, et à en boire aussi, souvent trop. L’arrivée d’Arthur, un drôle de type taciturne, tellement différent des hommes qu’elle a l’habitude de côtoyer, va tout changer. Lui vit en ermite dans une cabane perdue dans les montagnes, de l’autre côté de la rivière, juste à l’endroit dont Birdie rêve durant ses pauses, là où se trouve « la vraie nature sauvage ».

Il ne faut pas longtemps à la jeune femme pour accepter d’aller s’installer là-bas avec Emaleen. Pour commencer, enfin, une nouvelle vie, vraiment libre, affranchie des contraintes de temps, en harmonie avec la nature, quelles que soient les difficultés matérielles qu’il faudra affronter. Tout vaut mieux qu’une existence routinière, sans relief. Et puis il y a cette attraction puissante pour Arthur, « une sensation qu’elle avait toujours adorée -se trouver sur cette frontière infime entre l’excitation et la peur. » Bref, d’un coup d’aile (grâce au petit avion de Warren, le père adoptif d’Arthur), les voici embarquées au cœur de la nature sauvage… Elles y connaîtront des moments de bonheur intense, des drames aussi…

On plonge en frémissant dans ce récit d’une grande humanité, qui sonde les rapports amoureux et aussi le lien puissant d’une petite fille sagace avec sa mère. Quant à la nature, omniprésente, elle n’est pas enjolivée. Et c’est tant mieux. La sublime beauté de certains paysages, l’éclat modeste des petites fleurs de la toundra, le jaillissement d’un ruisseau, le saut d’une truite ou d’un saumon, le passage furtif d’un caribou…, n’effacent jamais tout à fait sa cruauté latente, son côté fauve.

Fred Robert
3 juin 2025

Une histoire d’ours dEowyn Ivey, traduit de l’américain par Jacques Mailhos
Éditions Gallmeister, 24,90 euros

L’autrice est invitée au festival Étonnants Voyageurs, qui se tiendra à Saint-Malo du 7 au 9 juin

Qui Vive : Quel est le cursus que tu as suivi ? C’est quoi l’ENTPE ?

Clémence Humez : C’est l’école de l’aménagement durable du territoire, également appelée école de la transition écologique et solidaire. Ça ne correspond pas aux lettres ENTPE, qui signifient École Nationale des Travaux Publics de l’État, car le nom a changé, mais l’ancien sigle est resté. C’est une école d’ingénieurs qui se trouve à Vaulx-en-Venin, près de Lyon. On étudie plusieurs domaines, la mobilité, l’urbanisme, la bâtiment, l’environnement et le génie civil. C’est un cursus sur trois ans. En première année, la formation est assez généraliste, ensuite on choisit nos spécialités.

Comment y es-tu entrée ?

D’abord, j’ai eu un bac scientifique, mais au lycée je ne savais pas trop ce que je voulais faire. J’aimais bien les sciences et aussi la littérature, J’étais forte en maths, mais je n’étais pas attirée par la médecine, ou ce genre de cursus, et on m’a conseillé de faire des études d’ingénieure. Après le bac, je suis entrée en prépa à Douai, dans ma région, le Nord. J’ai fait une première année Maths Physique Sciences de l’Ingénieur (MPSI) et Physique Sciences de l’Ingénieur (PSI) en deuxième année. Ensuite j’ai passé des concours d’école d’ingénieurs. Il y a trois sortes d’écoles, distinctes par leur niveau, leur réputation, leur degré de difficulté. Je me suis inscrite à plusieurs concours, dont l’ENTPE. Je ne connaissais pas du tout, j’ai regardé leur plaquette, et j’ai vu des gens avec des casques de chantier, ça m’a étonnée, je ne m’imaginais pas faire ce genre d’études ! Pourtant j’ai tenté, et j’ai été reçue !

Le bâtiment principal de l'ENTPE © ENTPE

Le bâtiment principal de l’ENTPE © ENTPE

Ce n’était pas ton premier choix ?

En fait, à la fin de la prépa, on passe tous les écrits et les oraux des écoles auxquelles on postule. Ensuite on doit les classer selon nos préférences et faire nos vœux. En fonction des écoles, il y a un système de coefficients qui varie, avec des matières qui comptent plus que d’autres. Par exemple, certaines écoles réputées ont un fort coefficient sur les sciences, bien sûr, mais aussi sur les matières littéraires et les langues, alors que d’autres y accordent moins d’importance. Comme je ne suis pas uniquement scientifique, j’avais de bonnes chances d’être acceptée dans des écoles de haut niveau, grâce justement à mon profil mixte. En prépa, c’est rare les élèves comme moi, la plupart des étudiants attirés par ce cursus sont très scientifiques. Moi j’étais moins forte en sciences que quelques génies de mon école, mais d’être bonne en français et en langues, ça m’a permis d’avoir un bon classement aux concours d’écoles renommées. Donc, parmi toutes celles où j’étais bien classée, j’ai regardé quelle était la meilleure école à laquelle je pouvais être reçue. Quand on a nos notes, on peut comparer avec les années d’avant pour voir quel rang on risque d’avoir. Dans les écoles où mon rang me permettait d’envisager d’être acceptée, j’ai vu que l’ENTPE était l’une des meilleures.

Il y avait quoi d’autre qui te tentait ?

Beaucoup de choses ! Par exemple, j’avais postulé pour d’autres écoles difficiles à avoir, dans l’aéronautique, ou dans le domaine de l’énergie produite par la houle. Quand il a fallu faire les vœux, ces écoles étaient mes premiers choix. Et juste après, dans ma liste, j’avais mis l’ENTPE. Mais il y avait une spécificité pour l’ENTPE. Quand je l’ai sélectionnée, on pouvait cocher fonctionnaire ou civil. Je me suis renseignée et j’ai appris qu’il y a quelques écoles en France, très peu, où on nous propose d’être fonctionnaire. Dès le concours, on peut postuler pour avoir ce statut. Ce qui signifie qu’on est payé pendant nos études, j’ai trouvé ça intéressant ! Donc dans mes vœux, j’avais mis ENTPE fonctionnaire et ensuite civil. Et la première école où j’ai été acceptée, c’était ENTPE fonctionnaire, directement, sans passer par la liste d’attente. J’aurais pu me dire, je le mets en pause et je continue à tenter ma chance dans les écoles de mes premiers vœux. Mais c’est tellement stressant, la prépa et cette période de concours ! Quand on a les résultats, c’est un soulagement déjà de savoir qu’on est pris quelque part ! J’étais heureuse d’être reçue, alors j’ai cliqué tout de suite sur « accepter » !

Le patio de l'ENTPE © ENTPE

Le patio de l’ENTPE © ENTPE

Tu es donc devenue à la fois fonctionnaire et étudiante ? Quelles sont les conditions de ce statut ?

Concrètement, pendant mes trois années à l’ENTPE, j’ai été payée 1250 euros par mois. Je n’étais pas en alternance, j’allais à l’école, j’avais les mêmes vacances scolaires que tout le monde, sauf qu’en plus, j’étais payée ! En échange, on doit sept ans de poste à l’État. Le principe, c’est que l’État finance nos études, ce qui lui garantit que des ingénieurs travailleront ensuite pour lui. À l’issue de nos études, on entre en poste dans la fonction publique. On doit rester d’abord cinq ans fonctionnaire, ensuite, on peut prendre deux périodes de disponibilité, de cinq ans chacune. Pendant ces périodes, on peut travailler dans le privé, puis on doit reprendre un poste de fonctionnaire pour terminer les années que l’on doit à l’État. Et après, on peut choisir soit de rester dans la fonction publique, soit de partir.

Tu travailles maintenant pour la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) à Marseille, comment s’est passé ton recrutement ?

À la fin des trois ans d’école, une liste de postes dans toute la France est publiée. Il y a autant de postes que d’étudiants fonctionnaires, donc l’État est sûr que ces postes seront pourvus. Quand cette liste est disponible, le recrutement ne se fait pas selon nos résultats. On doit se mettre d’accord entre étudiants et ne pas tous postuler pour les mêmes offres ! Donc, on discute entre nous, et on se répartit pour candidater aux offres qui nous intéressent, environ trois ou quatre pour chacun. Ensuite, on classe ces offres par ordre de préférence, puis on passe des entretiens. Les services de recrutement font aussi un classement à l’issue de ces entretiens, et on voit ce qui concorde. Un étudiant qui est classé premier pour une offre qu’il a positionnée en premier sera recruté, et ainsi de suite. S’il reste des postes qui ne sont pas pourvus, une deuxième vague est organisée, jusqu’à ce que toutes les places soient attribuées. Dans mon cas, le poste à la DREAL était mon favori, et on était trois à être intéressés. Mais les deux autres avaient de bonnes chances d’obtenir leur premier vœu, c’est ce qui s’est passé, et moi, j’ai été recrutée. Je suis chargée de mission qualité de l’air, je m’occupe notamment des plans de protection de l’atmosphère.

C’est pourtant assez différent de ce que tu as étudié ?

Oui, c’est vrai, mais il y a aussi des liens. À l’ENTPE, la formation est très complète. On est 200 étudiants, une centaine en civil, une centaine fonctionnaires. On était autant de garçons que de filles, ce qui est assez rare dans les filières scientifiques, où les garçons sont beaucoup plus nombreux. C’était d’ailleurs comme ça en prépa, où j’étais une des rares filles. La première année à l’ENTPE se déroule en tronc commun, on aborde toutes les thématiques : mobilité, urbanisme, environnement, bâtiment et génie civil. Les deux années suivantes, on se spécialise. Moi j’ai choisi bâtiment, c’est-à-dire comment on conçoit l’isolation, l’acoustique, la luminosité, l’aération, tout ce qui concerne le bien-être dans un bâti. On travaille beaucoup sur des projets, c’est très pratique, très concret, on doit imaginer comment réaliser un chantier de rénovation, lister les aménagements, les chiffrer. En parallèle, en deuxième et troisième années, pour compléter ma formation scientifique et technique, j’ai fait un double diplôme avec Sciences Po Grenoble, sur les gouvernances comparées, le fonctionnement des administrations, etc. Donc j’ai touché un peu à tout, et surtout, en tant qu’étudiant fonctionnaire, on doit être prêt à occuper un poste qui ne correspondra pas forcément à notre spécialité d’étude. Ce qui m’intéressait c’était de faire un travail où je me sente utile, et c’est le cas. Dès que j’ai pris mon poste, en septembre 2022, il y a eu beaucoup de compagnonnage, je me suis formée avec mes collègues. J’ai aussi suivi un module de formation air, climat et énergie.

Le bâtiment de la DREAL à Marseille © Capture écran Google Maps

Le bâtiment de la DREAL à Marseille © Capture écran Google Maps

Tu parles de te sentir utile, cela a compté dans ton choix professionnel ? Tu es inquiète de la situation écologique ?

Oui bien sûr. C’est la déprime ! On voit des incendies à tout va, des températures qui déraillent totalement, des épisodes de sécheresse à répétition, c’est assez angoissant. La marche à franchir est tellement énorme qu’on se sent presque dépassé. Par mon métier, j’ai l’impression d’améliorer un peu les choses. Dans mon domaine, la qualité de l’air, on agit pour réduire les polluants qui affectent la santé, comme le dioxyde d’azote. Ce qui dérègle le climat, ce sont les gaz à effets de serre, comme le CO2. Une voiture thermique, par exemple, émet les deux, elle contribue à la pollution et au dérèglement climatique. Donc travailler sur la qualité de l’air permet aussi d’améliorer le climat. J’agis également à titre personnel, je suis devenue végétarienne, je n’ai pas de voiture, ni de box internet, je trie mes déchets, je me déplace en train pour mes vacances, etc. Je suis pas irréprochable, mais j’essaie de faire attention ! Dans mon travail aussi. Je ne pourrais pas travailler pour quelque chose qui m’éloigne de mes convictions. Si je dois un jour changer de poste, il y a tout un tas de thématiques qui pourraient me convenir : la rénovation thermique des bâtiments, développer les mobilités douces, construire des pistes cyclables, aménager des équipements qui préservent la biodiversité, etc. Aujourd’hui, ce sont des choses qui s’imposent à nous. Je suis persuadée que je vais rester dans des domaines qui me correspondent. Je suis contente d’aller au boulot le matin parce que j’ai l’impression d’agir, et d’aller dans le bon sens, ça n’a pas de prix !

Propos recueillis par Jan-Cyril Salemi, le 30 avril 2025

Brûler des arbres pour produire de l’électricité, ce n’est pas l’idée du siècle. C’est ce que défendent depuis des années associations de protection de l’environnement et collectifs de riverains à Gardanne. Sur le site de l’ancienne usine à charbon, une centrale à biomasse, exploitée depuis 2019 par GazelÉnergie, filiale du groupe EPH du magnat tchèque Daniel Křetínský, a des conséquences sur la forêt, le climat et la santé des habitants.

Le bois-énergie, ça ne tient pas la route

Son activité était censée répondre aux objectifs d’accélération du développement des énergies dites durables. Sauf qu’à l’échelle industrielle, la « bio-énergie » présente d’énormes inconvénients : outre la déforestation sur des zones toujours plus grandes, sa combustion dégage des gaz à effet de serre. Rien de bon pour limiter le changement climatique. D’après le second principe de la thermodynamique, c’est même une aberration énergétique. Car, dans ce type d’opération, tout est biaisé : la viabilité économique d’une telle activité ne tient que grâce aux subventions. Mais surtout, elle masque un phénomène de déperdition de grande ampleur. Il faut de l’énergie pour couper le bois, le conditionner, le transporter, faire tourner les machines, distribuer l’électricité, etc.. Brûler des arbres en provenance du Brésil pour chauffer la Provence n’est tout simplement pas rentable. Pas plus que déforester les forêts locales ne fait sens, alors que le climat se détraque et la biodiversité s’effondre. Par ailleurs, cela occasionne de graves nuisances pour les riverains : un trafic routier important pour les acheminer, sans parler du bruit des engins, et des poussières, cendres et fumées chargées en particules fines, issues des cheminées.

Élargir la consultation publique

Le 27 mars 2023, le Conseil d’État a annulé l’autorisation d’exploiter, parce que « les incidences environnementales susceptibles d’être provoquées et l’exploitation de la chaudière fonctionnant au bois n’ont pas été prises en compte au même titre que les incidences directes dans les études d’impacts ». Ces études, précise l’association Convergence écologique du Pays de Gardanne, dans un communiqué, n’avaient pas respecté le code de l’environnement, car elles n’ont concerné que quelques communes proches de la centrale, sans inclure celles où le bois devait être abattu. La Cour Administrative d’Appel de Marseille a donc ordonné une nouvelle étude des impacts directs et indirects, et une nouvelle enquête publique dans les communes concernées. 324 en tout, dans 16 départements : Alpes de Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse, Ardèche, Gard, Drôme, Isère, Ariège, Aude, Aveyron, Hérault, Lozère et Pyrénées Orientales. L’enquête se déroulera du 5 mai au 6 juin 2025 inclus, avec une série de rencontres prévues pour informer la population. Toute personne qui le souhaite peut y participer en déposant une contribution sur les registres en mairie et par voie numérique. Faire entendre l’avis des citoyens sur ces questions d’intérêt général, haut et clair, est important. Il pourrait n’être pas écouté, mais non formulé, il le serait encore moins.

Gaëlle Cloarec, le 6 mai 2025



Liste des 11 réunions publiques :

  • Mardi 06 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Hôtel de Ville
    18 boulevard de la République
    04190 Les Mées
    Réserver
  • Mardi 13 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle des Pénitents Blancs
    27 place du Docteur Cavaillon
    84200 Carpentras
    Réserver
  • Mercredi 14 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Centre Laure Pailhon
    8 rue Leon Alègre
    30200 Bagnols-sur-Cèze
    Réserver
  • Jeudi 15 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Maison Daniel Cordier (Maison de la Vie Associative) Salle Jean Farret
    2 rue Jeanne Jugan
    34500 Béziers
    Réserver
  • Lundi 19 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle des Fêtes
    Place du Saguenay
    48400 Florac Trois Rivières
    Réserver
  • Mardi 20 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Maison de Projet
    29 rue Sully Prudhomme
    30100 Alès
    Réserver
  • Mercredi 21 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle Henri Rolland, 1er étage
    14 rue Roger Salengro
    13210 Saint-Rémy-de-Provence
    Réserver
  • Jeudi 22 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Maison du Peuple
    92 avenue Léo Lagrange
    13120 Gardanne
    Réserver
  • Lundi 26 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Hall des Expositions
    Cours de la Liberté
    83170 Brignoles
    Réserver
  • Mardi 27 Mai 2025 de 18h00 à 20h00 Salle des fêtes
    Place Gabriel Péri
    84400 Apt
    Réserver

Pour s’y rendre avec une idée précise des enjeux, le dossier de France Nature Environnement concernant la centrale : https://fnepaca.fr/dossiers/centrale-biomasse-de-gardanne

 

S’habiller avec des fripes est souvent perçu comme un acte écologique et solidaire. Acheter une veste ou un jean de seconde main semble avoir tous les avantages. Ça ne coûte pas trop cher, ça évite d’enrichir les grandes enseignes et ça permet de réduire les déchets. En apparence, recycler les vêtements s’inscrit dans un processus vertueux. La réalité est bien plus complexe. Emmanuelle Durand est anthropologue, elle a rédigé sa thèse sur l’économie du textile réutilisé. Elle en a tiré un livre, L’envers des fripes, paru en 2024. Lors de la Fête des Trucs, le week-end dernier, La Sauce, l’association étudiante d’Aix-Marseille Université, a organisé une conférence avec Emmanuelle Durand. Pendant près de deux heures, la chercheuse a décrit les circuits du recyclage textile et toutes les nuisances insoupçonnées qu’il comporte.

Souillure et déchets

La notion de fripe est assez floue juridiquement. Cela peut être un vêtement usagé, mais également un vêtement neuf invendu. Pour résumer, selon l’expression de l’anthropologue britannique Mary Douglas, c’est un vêtement qui présente une souillure, c’est-à-dire qui n’est pas à sa place socialement et symboliquement car il a perdu de sa valeur. Soit parce qu’il encombre nos armoires, soit parce qu’il encombre le stock d’un magasin. Le transformer en fripe lui redonne une valeur et le remet en circulation pour qu’il soit de nouveau utilisé. La vision de l’économie de la fripe est faussée car on ne retient souvent que ces deux côtés de la chaîne : le vêtement dont on se débarrasse et le vêtement qui est remis en vente. Tout ce qui se passe entre ces deux étapes est invisibilisé. Ce parcours d’une extrémité à une autre est la problématique principale des fripes. Qui intervient pour que cette transmission ait lieu ? Et comment a-t-elle lieu ?

La circulation est à la fois spatiale et sociale. Dans les pays développés, des associations s’occupent de la collecte des vêtements. Il faut ensuite les trier, parfois les raccommoder, puis les emballer, les stocker, les transporter. La plupart de ces lots de textiles partent alors dans des pays du sud, où ils sont de nouveau triés. Puis, selon leur état, une partie est mise en vente sur le marché local, une partie est renvoyée dans les pays du nord pour être vendue dans les friperies, et une partie est jetée. Souvent, ces déchets textiles terminent sur d’immenses décharges à ciel ouvert dans les pays du sud. Emmanuelle Durand s’est intéressée au circuit entre l’Europe et le Liban. « En moyenne, sur une balle de 50 kg de vêtements achetée sur le marché libanais, 40% ne sera pas utilisable », précise-t-elle.

Déchets textiles © XDR

Déchets textiles © XDR

Exploitation logistique

Toute cette circulation intermédiaire entre la collecte et la revente est réalisée, dans les pays du nord et du sud, sur des territoires similaires : des milieux péri-urbains, où se trouvent des hangars, à l’intérieur desquels ont lieu les activités de tri, d’assemblage, d’emballage, de stockage, de transport, de livraison. Dans ces entrepôts, au sud comme au nord, les emplois sont précaires, celles et ceux qui les occupent sont exploités, mal rémunérés, les conditions de travail sont dégradées. C’est dans ce monde urbain de la logistique que se crée la valeur. Ces territoires en déshérence sont les rouages indispensables du commerce des vêtements de récupération.

Ce circuit du recyclage à grande échelle est concurrencé depuis quelques années par les plateformes numériques. Dans ce cas, la vente de vêtements d’occasion n’a pas lieu en friperies, elle se fait entre particuliers. Les sites spécialisés mettent en avant l’économie circulaire, encouragent le geste simple de vider ses placards et de redonner vie à des habits qui dormaient. Cela semble contribuer à un modèle vertueux socialement et écologiquement. Mais c’est une situation en trompe-l’œil. Il est vrai que l’accès à la seconde main est facilité, des personnes qui n’en auraient pas eu la démarche, achètent des vêtements d’occasion via ces plateformes. Mais cela implique de la gestion de colis, du stockage et du transport, dans les territoires où cette logistique est déjà en place. Autre conséquence, le circuit du don est fragilisé. S’il est possible de revendre ses fonds de placard, les vêtements donnés sont ceux qu’on ne pourra pas monnayer. Les textiles collectés sont donc de moins bonne qualité et quand ils arrivent dans les pays du sud, ils sont plus nombreux à être inutilisables et finissent jetés. Sous l’apparence d’une attitude vertueuse d’économie circulaire, ces plateformes viennent amplifier la pollution textile à l’autre bout de la planète.

Profits pour l’industrie

Enfin, il reste un aspect majeur dans cette circulation des vêtements recyclés : le rôle de la production industrielle. « L’industrie textile et les fripes sont en fait complètement enchevêtrées », explique Emmanuelle Durand. Depuis longtemps, les industriels ont compris tout l’intérêt qu’ils avaient à accompagner la consommation de vêtements d’occasion. Dès les années 60 ou 70, lorsque les mouvements hippies ou punks réutilisent et détournent des bleus de travail ou des tenues militaires, l’industrie se met à produire des treillis neufs ou des vestes d’ouvriers. De même, quand la mode est aux habits usés, elle commercialise du prêt-à-porter déjà abimé, déchiré. Aujourd’hui, elle se sert de l’engouement pour la récup et en tire profit. L’industrie a même besoin du marché de l’occasion, car il lui permet de diffuser ses invendus. Sans la seconde main, l’industrie textile serait bloquée par son stock. Mais elle a au contraire la possibilité de s’en débarrasser, ce qui encourage et renforce sa surproduction. Il est plus rentable pour elle de nourrir un flux permanent de nouveautés et de reléguer ses invendus en fripes, ce qui entretient la surconsommation. Les articles de la fast fashion inondent aujourd’hui autant le marché du neuf que celui de la récup.

L’enquête d’Emmanuelle Durand met en lumière tous les paradoxes, les nuisances et les pièges du recyclage des vêtements. Il existe des moyens de les contourner, déjà en ayant conscience de ce fonctionnement, et en essayant de limiter son essor. Et en favorisant autant que possible les circuits courts, les échanges directs, locaux, informels. Dans le domaine des textiles comme dans d’autres, il est préférable de consommer des objets déjà fabriqués et de les faire durer. Mais la traçabilité d’un vêtement restera toujours difficile à établir, et la dimension éthique de ce commerce est une problématique complexe. La responsabilité de la société est de tenter de la résoudre.

Jan-Cyril Salemi
Avril 2025

 

Pour aller plus loin :
Emmanuelle Durand invitée de l’émission La Terre au carré sur France Inter

Qui Vive : Comment avez-vous intégré le programme Alpatous ?

Bernard Vallat : J’ai participé à la première session de formation, en 2021. Je l’ai découvert un peu par hasard, sur Internet. Je me suis toujours intéressé au pastoralisme, même si je vis en ville, car je fais beaucoup de randonnées. Quand j’ai commencé, le loup n’était pas encore arrivé, les troupeaux étaient plus facilement accessibles ; j’ai souvent discuté avec les bergers et bergères de leur métier, etc…

Un jour, j’ai commencé à voir ces chiens de protection. Je n’avais pas trop d’expérience, je ne savais pas comment me comporter. Cela s’apprend ! La formation présentait un double intérêt : à titre personnel, comprendre leur raison d’être et la façon dont il convient de réagir quand on les rencontre ; et aussi, comme beaucoup de jeunes retraités, je cherchais un projet où m’investir en tant que bénévole.

Vous avez suivi le retour du loup, dans les années 1990, et sa progression en France ?

Je m’intéresse aussi au loup, je fais partie, depuis 2021 également, du Réseau Loup Lynx, qui opère un suivi des populations, piloté par l’Office français de la biodiversité. L’OFB a également besoin de bénévoles, pour récolter des indices de présence.

Comment se passe la formation Alpatous ?

Elle se déroule sur deux journées, vendredi et samedi, pour permettre aux salariés de ne poser qu’un jour d’absence afin d’y assister. D’abord un temps théorique, en salle, avec des intervenants de l’OFB, sur la biologie et la vie sociale du loup ; la Direction départementale des territoires, souvent celle des Alpes-de-Haute-Provence, sur les aspects réglementaires, les aides, indemnisations ; le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée, concernant le pastoralisme ; et l’Institut de l’élevage, qui facilite la mise en place des chiens de protection chez les éleveurs. Puis le samedi après-midi, une visite sur le terrain, auprès d’un troupeau.

Ensuite, vous êtes opérationnels ?

En 2021, nous avons un peu essuyé les plâtres du programme. Il y avait une mise en pratique individuelle. Depuis, il y a eu des améliorations, par exemple depuis 2023, FNE a prévu des jeux de rôle durant la formation, pour permettre aux bénévoles de se familiariser avec la rencontre des usagers de la montagne. Une personne du groupe incarne un randonneur ou un vttiste, et l’objectif est de se préparer à lui apporter des informations sur la présence et le rôle des patous, comment interagir avec eux. Initialement, on travaillait un peu de manière isolée, chacun à proximité de chez lui. Aujourd’hui c’est différent, la responsable du programme propose des sorties en groupe de cinq ou six personnes. On essaie de couvrir les six départements de Paca.

Est-ce que les bénévoles d’Alpatous sont plutôt des retraités, comme vous, ou y a-t-il aussi des jeunes ?

Cette année je ne sais pas, mais sur les formations précédentes, les participants étaient d’âges et de profils variés. Depuis 2022 des professionnels sont aussi présents (guides, accompagnateurs en montagne, agents ou bénévoles des parcs régionaux). Le programme fonctionne bien, depuis 2023 il a été étendu à la région AURA, piloté par FNE Ain.

À quel rythme faites-vous des sorties de sensibilisation ?

On planifie en moyenne une sortie de groupe par semaine, parfois tous les 15 jours. J’en fais par ailleurs moi-même à titre personnel, d’avril à septembre, quand les troupeaux sont de sortie, chez moi dans le Vaucluse. Dans les Alpes, les grosses périodes de fréquentation des massifs sont plus concentrées sur juillet-août.

Troupeau en altitude - Alpes © Geneviève Barrillon

Troupeau en altitude – Alpes © Geneviève Barrillon

Comment se passent les interactions avec les usagers de la montagne ?

Personnellement, je n’ai jamais rencontré de personnes agressives. Une très faible minorité ne sont pas intéressés, auquel cas nous n’insistons pas, mais les gens sont plutôt réceptifs. Souvent, ils n’ont aucune notion de ce qu’est le pastoralisme, et encore moins des chiens de protection, donc ils sont curieux. Cela les rassure que nous leur transmettions les bonnes attitudes [ ndlr : rester calme, passer son chemin et contourner largement le troupeau sans courir, éviter les gestes brusques, ne pas leur donner à manger ou tenter de les caresser ]. Nous leur expliquons que le travail de ces chiens est la dissuasion, ce n’est pas de la défense ou de l’attaque.

Quelle est la nuance ?

Leur but est de décourager toute menace sur le troupeau. Certains considèrent qu’un chien qui avance vers eux en aboyant les agresse, alors que c’est leur fonction. Ils ne viennent pas pour mordre, mais pour faire comprendre au passant qu’il ne faut pas rester là. J’ai rencontré une fois une personne qui s’était fait mordre, mais elle m’a avoué après coup qu’elle avait traversé le troupeau, sans tenir compte de l’avertissement. Ce qu’il ne faut surtout pas faire !

C’est gratifiant, cette mission ?

Oui, beaucoup de gens nous remercient. Avec les éleveurs, c’était un peu compliqué au début, dans la mesure où FNE a plutôt une image d’association « pro-loup », ce qui ne leur plaisait pas forcément. Mais ceux que j’ai rencontrés récemment sont plus participatifs. Ils sont conscients que ces chiens posent des problèmes, certains se sont retrouvés au tribunal suite à une mauvaise rencontre de randonneurs avec un patou. En conséquence, ils les sociabilisent plus. Ce sont des chiens totalement autonomes, quand ils sont au troupeau, ils réagissent aux stimulis ; même si le berger est présent, il ne peut généralement pas les rappeler. Aussi on ne parle pas de dressage, mais d’éducation, pour qu’ils ne considèrent pas les humains comme une menace.

Et donc les éleveurs perçoivent vos interventions d’un meilleur œil ?

Ils y sont plus favorables à présent, car ils comprennent que plus nombreuses seront les personnes informées des bonnes attitudes à adopter, moins il y aura de problèmes. Depuis 2020, notamment suite au Covid, il y a beaucoup plus de monde en montagne, les gens ont besoin de nature. L’objectif principal du programme est que les différents usagers cohabitent bien.

Avec ce recul de quatre ans écoulés, vous en concluez que le programme est pertinent ?

Je pense qu’il l’est, en effet. Ces deux dernières années, j’ai rencontré sur les sentiers plusieurs adeptes de la bombe au poivre, qui craignaient les chiens de protection et n’auraient pas hésité à s’en servir « en cas d’urgence ». Je peux partager l’histoire d’un randonneur qui s’en est servi contre un patou, dans le 04 il y a quelques temps. Cela a rendu le chien plus agressif avec les personnes qui sont passées après. Ils sont comme nous, ils mémorisent ! Même un animal plutôt calme peut devenir agressif dans ces circonstances. La bombe au poivre est contre-productive.

Propos recueillis par Gaëlle Cloarec, le 24 avril 2025

Bernard Vallat © XDR

Bernard Vallat © XDR

Lire aussi notre entretien avec Justine Poncet, responsable du programme Alpatous chez FNE Paca.