« Par mon métier, j’ai l’impression d’améliorer un peu les choses »
Clémence Humez a 26 ans, elle a fait des études d’ingénieure à l’ENTPE. A l’issue de sa formation, elle a directement intégré la DREAL à Marseille, en tant que chargée de mission sur la qualité de l’air. Elle nous parle de son parcours
Qui Vive : Quel est le cursus que tu as suivi ? C’est quoi l’ENTPE ?
Clémence Humez : C’est l’école de l’aménagement durable du territoire, également appelée école de la transition écologique et solidaire. Ça ne correspond pas aux lettres ENTPE, qui signifient École Nationale des Travaux Publics de l’État, car le nom a changé, mais l’ancien sigle est resté. C’est une école d’ingénieurs qui se trouve à Vaulx-en-Velin, près de Lyon. On étudie plusieurs domaines, la mobilité, l’urbanisme, la bâtiment, l’environnement et le génie civil. C’est un cursus sur trois ans. En première année, la formation est assez généraliste, ensuite on choisit nos spécialités.
Comment y es-tu entrée ?
D’abord, j’ai eu un bac scientifique, mais au lycée je ne savais pas trop ce que je voulais faire. J’aimais bien les sciences et aussi la littérature, J’étais forte en maths, mais je n’étais pas attirée par la médecine, ou ce genre de cursus, et on m’a conseillé de faire des études d’ingénieure. Après le bac, je suis entrée en prépa à Douai, dans ma région, le Nord. J’ai fait une première année Maths Physique Sciences de l’Ingénieur (MPSI) et Physique Sciences de l’Ingénieur (PSI) en deuxième année. Ensuite j’ai passé des concours d’école d’ingénieurs. Il y a trois sortes d’écoles, distinctes par leur niveau, leur réputation, leur degré de difficulté. Je me suis inscrite à plusieurs concours, dont l’ENTPE. Je ne connaissais pas du tout, j’ai regardé leur plaquette, et j’ai vu des gens avec des casques de chantier, ça m’a étonnée, je ne m’imaginais pas faire ce genre d’études ! Pourtant j’ai tenté, et j’ai été reçue !
Ce n’était pas ton premier choix ?
En fait, à la fin de la prépa, on passe tous les écrits et les oraux des écoles auxquelles on postule. Ensuite on doit les classer selon nos préférences et faire nos vœux. En fonction des écoles, il y a un système de coefficients qui varie, avec des matières qui comptent plus que d’autres. Par exemple, certaines écoles réputées ont un fort coefficient sur les sciences, bien sûr, mais aussi sur les matières littéraires et les langues, alors que d’autres y accordent moins d’importance. Comme je ne suis pas uniquement scientifique, j’avais de bonnes chances d’être acceptée dans des écoles de haut niveau, grâce justement à mon profil mixte. En prépa, c’est rare les élèves comme moi, la plupart des étudiants attirés par ce cursus sont très scientifiques. Moi j’étais moins forte en sciences que quelques génies de mon école, mais d’être bonne en français et en langues, ça m’a permis d’avoir un bon classement aux concours d’écoles renommées. Donc, parmi toutes celles où j’étais bien classée, j’ai regardé quelle était la meilleure école à laquelle je pouvais être reçue. Quand on a nos notes, on peut comparer avec les années d’avant pour voir quel rang on risque d’avoir. Dans les écoles où mon rang me permettait d’envisager d’être acceptée, j’ai vu que l’ENTPE était l’une des meilleures.
Il y avait quoi d’autre qui te tentait ?
Beaucoup de choses ! Par exemple, j’avais postulé pour d’autres écoles difficiles à avoir, dans l’aéronautique, ou dans le domaine de l’énergie produite par la houle. Quand il a fallu faire les vœux, ces écoles étaient mes premiers choix. Et juste après, dans ma liste, j’avais mis l’ENTPE. Mais il y avait une spécificité pour l’ENTPE. Quand je l’ai sélectionnée, on pouvait cocher fonctionnaire ou civil. Je me suis renseignée et j’ai appris qu’il y a quelques écoles en France, très peu, où on nous propose d’être fonctionnaire. Dès le concours, on peut postuler pour avoir ce statut. Ce qui signifie qu’on est payé pendant nos études, j’ai trouvé ça intéressant ! Donc dans mes vœux, j’avais mis ENTPE fonctionnaire et ensuite civil. Et la première école où j’ai été acceptée, c’était ENTPE fonctionnaire, directement, sans passer par la liste d’attente. J’aurais pu me dire, je le mets en pause et je continue à tenter ma chance dans les écoles de mes premiers vœux. Mais c’est tellement stressant, la prépa et cette période de concours ! Quand on a les résultats, c’est un soulagement déjà de savoir qu’on est pris quelque part ! J’étais heureuse d’être reçue, alors j’ai cliqué tout de suite sur « accepter » !
Tu es donc devenue à la fois fonctionnaire et étudiante ? Quelles sont les conditions de ce statut ?
Concrètement, pendant mes trois années à l’ENTPE, j’ai été payée 1250 euros par mois. Je n’étais pas en alternance, j’allais à l’école, j’avais les mêmes vacances scolaires que tout le monde, sauf qu’en plus, j’étais payée ! En échange, on doit sept ans de poste à l’État. Le principe, c’est que l’État finance nos études, ce qui lui garantit que des ingénieurs travailleront ensuite pour lui. À l’issue de nos études, on entre en poste dans la fonction publique. On doit rester d’abord cinq ans fonctionnaire, ensuite, on peut prendre deux périodes de disponibilité, de cinq ans chacune. Pendant ces périodes, on peut travailler dans le privé, puis on doit reprendre un poste de fonctionnaire pour terminer les années que l’on doit à l’État. Et après, on peut choisir soit de rester dans la fonction publique, soit de partir.
Tu travailles maintenant pour la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) à Marseille, comment s’est passé ton recrutement ?
À la fin des trois ans d’école, une liste de postes dans toute la France est publiée. Il y a autant de postes que d’étudiants fonctionnaires, donc l’État est sûr que ces postes seront pourvus. Quand cette liste est disponible, le recrutement ne se fait pas selon nos résultats. On doit se mettre d’accord entre étudiants et ne pas tous postuler pour les mêmes offres ! Donc, on discute entre nous, et on se répartit pour candidater aux offres qui nous intéressent, environ trois ou quatre pour chacun. Ensuite, on classe ces offres par ordre de préférence, puis on passe des entretiens. Les services de recrutement font aussi un classement à l’issue de ces entretiens, et on voit ce qui concorde. Un étudiant qui est classé premier pour une offre qu’il a positionnée en premier sera recruté, et ainsi de suite. S’il reste des postes qui ne sont pas pourvus, une deuxième vague est organisée, jusqu’à ce que toutes les places soient attribuées. Dans mon cas, le poste à la DREAL était mon favori, et on était trois à être intéressés. Mais les deux autres avaient de bonnes chances d’obtenir leur premier vœu, c’est ce qui s’est passé, et moi, j’ai été recrutée. Je suis chargée de mission qualité de l’air, je m’occupe notamment des plans de protection de l’atmosphère.
C’est pourtant assez différent de ce que tu as étudié ?
Oui, c’est vrai, mais il y a aussi des liens. À l’ENTPE, la formation est très complète. On est 200 étudiants, une centaine en civil, une centaine fonctionnaires. On était autant de garçons que de filles, ce qui est assez rare dans les filières scientifiques, où les garçons sont beaucoup plus nombreux. C’était d’ailleurs comme ça en prépa, où j’étais une des rares filles. La première année à l’ENTPE se déroule en tronc commun, on aborde toutes les thématiques : mobilité, urbanisme, environnement, bâtiment et génie civil. Les deux années suivantes, on se spécialise. Moi j’ai choisi bâtiment, c’est-à-dire comment on conçoit l’isolation, l’acoustique, la luminosité, l’aération, tout ce qui concerne le bien-être dans un bâti. On travaille beaucoup sur des projets, c’est très pratique, très concret, on doit imaginer comment réaliser un chantier de rénovation, lister les aménagements, les chiffrer. En parallèle, en deuxième et troisième années, pour compléter ma formation scientifique et technique, j’ai fait un double diplôme avec Sciences Po Grenoble, sur les gouvernances comparées, le fonctionnement des administrations, etc. Donc j’ai touché un peu à tout, et surtout, en tant qu’étudiant fonctionnaire, on doit être prêt à occuper un poste qui ne correspondra pas forcément à notre spécialité d’étude. Ce qui m’intéressait c’était de faire un travail où je me sente utile, et c’est le cas. Dès que j’ai pris mon poste, en septembre 2022, il y a eu beaucoup de compagnonnage, je me suis formée avec mes collègues. J’ai aussi suivi un module de formation air, climat et énergie.
Tu parles de te sentir utile, cela a compté dans ton choix professionnel ? Tu es inquiète de la situation écologique ?
Oui bien sûr. C’est la déprime ! On voit des incendies à tout va, des températures qui déraillent totalement, des épisodes de sécheresse à répétition, c’est assez angoissant. La marche à franchir est tellement énorme qu’on se sent presque dépassé. Par mon métier, j’ai l’impression d’améliorer un peu les choses. Dans mon domaine, la qualité de l’air, on agit pour réduire les polluants qui affectent la santé, comme le dioxyde d’azote. Ce qui dérègle le climat, ce sont les gaz à effets de serre, comme le CO2. Une voiture thermique, par exemple, émet les deux, elle contribue à la pollution et au dérèglement climatique. Donc travailler sur la qualité de l’air permet aussi d’améliorer le climat. J’agis également à titre personnel, je suis devenue végétarienne, je n’ai pas de voiture, ni de box internet, je trie mes déchets, je me déplace en train pour mes vacances, etc. Je suis pas irréprochable, mais j’essaie de faire attention ! Dans mon travail aussi. Je ne pourrais pas travailler pour quelque chose qui m’éloigne de mes convictions. Si je dois un jour changer de poste, il y a tout un tas de thématiques qui pourraient me convenir : la rénovation thermique des bâtiments, développer les mobilités douces, construire des pistes cyclables, aménager des équipements qui préservent la biodiversité, etc. Aujourd’hui, ce sont des choses qui s’imposent à nous. Je suis persuadée que je vais rester dans des domaines qui me correspondent. Je suis contente d’aller au boulot le matin parce que j’ai l’impression d’agir, et d’aller dans le bon sens, ça n’a pas de prix !
Propos recueillis par Jan-Cyril Salemi, le 30 avril 2025