Au cœur du sauvage
Avec son deuxième roman, tout juste paru aux éditions Gallmeister, Eowyn Ivey plonge les lecteurs dans une nature grandiose et mystérieuse, propice aux aventures étranges et aux passions dévorantes
L’Américaine Eowyn Ivey vit en Alaska avec sa famille. Elle connaît bien ce territoire farouche, qui servait déjà de décor à son premier ouvrage, L’enfant de neige, best-seller paru en 2012, finaliste du prestigieux prix Pulitzer, et désormais disponible dans la collection Totem des éditions Gallmeister. De cette histoire à la lisière du surnaturel, on retrouve certains échos dans Une histoire d’ours. Tant de légendes circulent dans le Grand Nord autour des ours et des grizzlis…
Difficile de résumer ce roman sensible, émouvant, tout à la fois chronique familiale, histoire d’amour et conte fantastique. En écrire trop romprait le charme et surtout gâcherait certaines surprises de l’intrigue. On peut tout de même tenter l’aventure, comme le fait Birdie, l’une des protagonistes principales. Birdie donc est une mère célibataire, affranchie et débrouillarde mais un peu paumée. Elle élève seule sa fillette Emaleen. Toutes deux vivent dans un lodge au bord de la rivière Wolverine, avec vue sur les montagnes. Birdie travaille au bar de Della, mais elle ronge son frein. Elle sent que sa vraie place n’est pas là, à servir des verres, et à en boire aussi, souvent trop. L’arrivée d’Arthur, un drôle de type taciturne, tellement différent des hommes qu’elle a l’habitude de côtoyer, va tout changer. Lui vit en ermite dans une cabane perdue dans les montagnes, de l’autre côté de la rivière, juste à l’endroit dont Birdie rêve durant ses pauses, là où se trouve « la vraie nature sauvage ».
Il ne faut pas longtemps à la jeune femme pour accepter d’aller s’installer là-bas avec Emaleen. Pour commencer, enfin, une nouvelle vie, vraiment libre, affranchie des contraintes de temps, en harmonie avec la nature, quelles que soient les difficultés matérielles qu’il faudra affronter. Tout vaut mieux qu’une existence routinière, sans relief. Et puis il y a cette attraction puissante pour Arthur, « une sensation qu’elle avait toujours adorée -se trouver sur cette frontière infime entre l’excitation et la peur. » Bref, d’un coup d’aile (grâce au petit avion de Warren, le père adoptif d’Arthur), les voici embarquées au cœur de la nature sauvage… Elles y connaîtront des moments de bonheur intense, des drames aussi…
On plonge en frémissant dans ce récit d’une grande humanité, qui sonde les rapports amoureux et aussi le lien puissant d’une petite fille sagace avec sa mère. Quant à la nature, omniprésente, elle n’est pas enjolivée. Et c’est tant mieux. La sublime beauté de certains paysages, l’éclat modeste des petites fleurs de la toundra, le jaillissement d’un ruisseau, le saut d’une truite ou d’un saumon, le passage furtif d’un caribou…, n’effacent jamais tout à fait sa cruauté latente, son côté fauve.
Fred Robert
3 juin 2025
Une histoire d’ours
Eowyn Ivey
traduit de l’américain par Jacques Mailhos
Éditions Gallmeister, 24,90 euros
L’autrice est invitée au festival Étonnants Voyageurs, qui se tiendra à Saint-Malo du 7 au 9 juin