6 octobre 2025

« Ce n’est pas qu’une question de JO » – Deuxième partie

L’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2030 dans les Alpes pose bon nombre de questions démocratiques, écologiques et sociales.
Rencontre avec le Collectif Citoyen JOP 2030, qui porte un regard critique élaboré sur ces Jeux. Deuxième et dernier volet de cette enquête.

Le Grand-Bornand, Haute Savoie © Lou Veyrat-Parisien

« Les Alpes françaises ont été élues hôtes des Jeux Olympiques d’hiver de 2030. Ces Jeux ont vocation à établir un lien entre le nord et le sud des Alpes françaises pour en faire une plaque tournante des sports d’hiver, dans le but d’apporter un maximum de bénéfices sociaux et économiques aux populations. Les Alpes françaises 2030 ont pour ambition d’organiser des Jeux responsables et durables, ouverts à tous ». Voilà le projet annoncé par le Comité International Olympique (CIO), en p. 24 de son rapport annuel pour l’année 2024. De son côté, Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, a assuré à maintes reprises que ces Jeux  seraient « les plus sobres de l’histoire », tant d’un point de vue économique qu’écologique.

Cet article fait suite à un premier papier publié sur les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 et les dérives démocratiques qu’ils impliquent. Ici, nous nous consacrerons à comprendre les impacts sociaux, économiques et environnementaux des Jeux, d’après l’analyse développée par le Collectif Citoyen JOP 2030.

Zoom sur le droit de l’environnement

À l’échelle internationale, les piliers du droit de l’environnement ont été concrétisés dans la Convention d’Aarhus, ratifiée par la France en 1998, puis transcrite dans notre droit interne, à travers la Charte de l’environnement, partie intégrante du bloc constitutionnel. Cette convention stipule notamment que pour tout projet impactant l’environnement, il est nécessaire de mettre en place des mesures de consultation et de participation du public le plus tôt possible et tant que des alternatives au projet sont envisageables. Par ailleurs, de tels projets doivent également donner lieu à une étude environnementale (une telle étude était préconisée pour les JOP 2030 par l’Autorité environnementale dès novembre 2024, sans que cet avis n’ait une quelconque influence). Néanmoins, ces deux conditions n’ont pas été respectées dans le cadre des JOP 2030.

La convention d’Aarhus est supposée être contraignante : tout État l’ayant ratifiée et contrevenant à ses règles est susceptible de poursuite et d’éventuelles sanctions. Le collectif a donc saisi le comité d’Aarhus, tout en sachant que lorsque celui-ci interviendra, il sera déjà trop tard pour les JOP d’hiver. Pour le collectif, il s’agit avant tout d’externaliser le contentieux. « Il n’existe pas de réelle indépendance de la justice administrative par rapport aux volontés politiques du gouvernement français. On sait que le Conseil d’État n’ira jamais à rebours du président de la République, pour dire qu’effectivement, le contrat olympique est illégal » avance Delphine Larat, membre du Collectif Citoyen JOP 2030. Avant d’appuyer : « Mais externaliser un contentieux nous permettra de médiatiser à un niveau international, et de viser un organisme qui dépend des Nations-Unies [le comité d’Aarhus], qui est supposé être complètement transparent. Ce qui est important, c’est de remettre de la transparence là où il y a énormément d’opacité, mais aussi d’avertir les autres pays qu’il peut y avoir des sanctions ».

À l’échelle française, l’article 7 de la Charte de l’environnement énonce sensiblement la même chose que la convention d’Aarhus1 : « Il faut qu’il y ait une mesure d’information et de participation du public, notamment par le biais de la Commission Nationale du Débat Public [CNDP], selon des dispositions qui sont ensuite précisées dans le code de l’environnement », ajoute Delphine. De fait, la saisine de la CNDP est obligatoire lorsque le budget d’un projet relatif à l’installation d’équipements culturels et sportifs est supérieur à 460 M d’euros. Par ailleurs, celle-ci est supposée être saisie par les maîtres d’ouvrage du projet, en l’occurrence, le Comité National Olympique et Sportif Français au moment de la candidature (CNOSF), accompagné désormais par la SOLIDEO et le COJOP. Bien que la CNDP ait été interpellée à plusieurs reprises par des ONG agréées, un conseiller régional et des député·es, et qu’elle ait elle-même sollicité le CNOSF, celui-ci n’a jamais fait les démarches nécessaires pour la saisir. (Cliquer sur les enveloppes ci-dessous puis sur les liens pour consulter les courriers adressés à des élu·es par le Président de la CNDP).

« Les porteurs du projet nous disent qu’il y aura des consultations infrastructure par infrastructure, ils répondent à la consultation nationale par une consultation site par site. Je ne sais pas comment fonctionne la CNDP, mais à partir du moment où de l’argent public est mis sur la table, je pense que toute la population française devrait être impliquée. Là, ils envisagent de faire ça projet d’infrastructure par projet d’infrastructure, par voie électronique, avec des délais restreints. Normalement vous avez des délais, des rapporteurs qui doivent être désignés et qui ont des garanties d’indépendance, qui doivent produire des rapports d’une certaine manière, qui doivent retranscrire l’intégralité des retours qui sont faits par les personnes qui sont venues déposer leur contribution. C’est une sorte d’interface, et cette commission est supposée être indépendante et doit faire en sorte que les conclusions retranscrivent effectivement ce qui a été dit par la population », explique Delphine. À ce jour cependant, aucune mesure n’a été prise par l’État ou les structures organisant les Jeux pour consulter la population française.

De leur côté, les Chambres régionales des comptes des régions PACA et AURA ont chacune émis un avis – respectivement en décembre 2023 et février 2024 –, constatant toutes deux que l’économie de « l’or blanc » touchait à sa fin, et que l’argent des contribuables ne pouvait continuer d’alimenter les stations de ski et toutes les infrastructures qui lui sont connexes (canons à neige, retenues collinaires…). Le projet des JOP 2030 va ainsi complètement à l’encontre de leurs conclusions, supposées être prises en compte par les régions pour mener des politiques publiques en prise avec leur territoire.

Les impacts sociaux et environnementaux des Jeux

Pour documenter les impacts sociaux et économiques que les Jeux pourraient avoir sur la population des Hautes-Alpes, le collectif travaille actuellement avec Monique Pinçon-Charlot, sociologue et ancienne directrice de recherche au CNRS, ayant travaillé une grande partie de sa vie sur l’oligarchie française et les classes supérieures de la société de manière générale.

Ainsi, d’après le collectif, les JOP d’hiver permettraient de mettre un coup de projecteur sur une région encore peu connue à l’échelle nationale et internationale. En effet, les Hautes-Alpes font partie des départements les moins peuplés de France, avec 141 677 habitant·es recensé·es par l’INSEE en 2022. Avec cette visibilité nouvelle, celles-ci pourraient connaître une montée en gamme de la clientèle des stations de sports d’hiver, entraînant un effet de gentrification, le coût de la vie et les prix de l’immobilier devenant prohibitifs pour la population locale. De fait, le revenu moyen d’un ménage haut-alpin se situait en 2023 autour de 2100 euros par mois, selon des données issues des déclarations fiscales. Si le foyer est composé de deux personnes ou plus, celui-ci bascule sous le seuil de pauvreté. Dans ce contexte, quel sera l’avenir de la population haute-alpine sur son territoire, après le passage des Jeux ?

Par ailleurs, ceux-ci risquent de renforcer la dépendance de l’économie du territoire au travail saisonnier, et donc celle de sa population. « Plutôt que de poursuivre dans une société de services, pourquoi ne pas orienter davantage les financements vers le développement d’une agriculture de montagne résiliente ? Un projet qui serait beaucoup plus approprié avec l’avenir qui nous attend. », poursuit Delphine.

Quant aux impacts environnementaux, ceux-ci n’ont pas encore été mesurés avec précision. Néanmoins, le collectif cherche à s’entourer d’une équipe experte sur le sujet. « Nous avons du mal à recruter à ce niveau-là », regrette-t-elle. « Le récit autour des Jeux séduit encore beaucoup, et l’échéance est tellement lointaine que les gens ont du mal à envisager qu’il faille se mobiliser dès maintenant ».

Sans trop s’avancer cependant, Delphine émet quelques points clés. Premièrement, la gestion des communs, et en particulier celle de l’eau. Doit-on continuer de produire de la neige artificielle pour concevoir des pistes de ski, au détriment d’une préservation de la ressource essentielle à notre avenir ? Elle évoque également les écosystèmes de montagne : « On a des écosystèmes extrêmement fragiles en montagne. Nous devons les protéger. Un site dans les Alpes, qui a été impacté, mettra beaucoup plus de temps à se régénérer qu’un écosystème tropical par exemple, où tout pousse rapidement ». Par ailleurs, comme précisé précédemment, l’argent nécessaire au déploiement des Jeux pourrait être employé au réaménagement du territoire, afin que la région ne dépende plus uniquement du tourisme, qui repose essentiellement sur les stations de sports d’hiver et les activités pratiquées en eau vive – sur la rivière de la Durance notamment – et sur le lac de Serre-Ponçon. De fait, ces secteurs sont déjà fortement impactés par le réchauffement climatique, qui ne peut que s’aggraver. Il est donc plus que nécessaire de penser une diversification de l’économie du territoire, en adéquation avec les enjeux climatiques et environnementaux.

Piste de ski au Grand Bornand, Haute-Savoie © Lou Veyrat-Parisien

Piste de ski au Grand Bornand, Haute-Savoie © Lou Veyrat-Parisien

Comment agir ?

Le collectif s’active sur de nombreux plans. « Dans l’immédiat, notre meilleur espoir, c’est de faire en sorte que les députés soient conscients des enjeux autour du projet de Loi Olympique, et s’y opposent. On veut aussi leur faire comprendre que le projet de Loi Olympique n’est pas un passage obligé, qu’ils peuvent refuser de le voter. Le Sénat et l’Assemblée nationale ne sont pas supposés être des chambres d’enregistrement ». Quelques-un·es de ses membres ont notamment été auditionné·es le mardi 16 septembre, lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale par le député insoumis Jean-François Coulomme, auquel ont pris part des député·es. Iels ont profité de cette journée pour organiser une conférence de presse, donnant lieu à de nombreux articles (y compris à l’échelle internationale). Le collectif a également été auditionné le 2 octobre, au sein de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, suite à l’invitation du député Frédéric Maillot. « L’objectif ici est de convaincre les députés d’auditionner rapidement l’Inspection Générale des Finances (IGF). C’est elle qui détient une véritable expertise du coût des Jeux et qui sera en mesure de les expliciter en connaissance de cause ».

Dans un second temps, le collectif prévoit aussi de mobiliser les député·es dans le cas où la troisième garantie financière (lire la première partie pour le détail de ces garanties) serait intégrée au projet de Loi de Finances 2026 (voire 2027). Enfin, à l’échelle nationale, il compte sur les élections municipales à venir (2026) pour faire changer les choses. « Ce seront les maires qui devront prendre les arrêtés nécessaires pour opérationnaliser les Jeux. Nous aurons peut-être une marge de manœuvre de ce côté-là, en fonction de qui est élu aux prochaines élections ». Il table également sur la future présidentielle (2027).

Par ailleurs, le collectif a attaqué en justice le CIO auprès du Tribunal Administratif de Lyon, afin de demander la suspension du contrat olympique. Ici, l’échéance s’avère être très proche : « Si le projet de Loi Olympique passe à l’Assemblée nationale dans les semaines qui viennent, tout ce que nous avons identifié comme des irrégularités vis-à-vis du droit français dans le contrat olympique sera régularisé, et notre action risque de devenir sans objet ».

À terme, le collectif souhaiterait également faire modifier la Charte de l’environnement, inscrite dans la Constitution : « Nous demandons à ce qu’il soit précisé dans le code de l’environnement que les mesures d’information et de participation du public aient lieu très en amont du projet, et à tout le moins, lorsque des alternatives au projet sont encore envisageables ». En somme, une précision concernant les délais déjà actée dans la Convention d’Aarhus, qu’il suffirait d’ajouter à la Charte de l’environnement.

À ce sujet, le collectif a saisi le mardi 16 septembre les tribunaux de Paris, Lyon et Marseille, afin d’inclure cette précision dans la Charte. Cette action détient cependant un autre objectif : ordonner aux différents maîtres d’ouvrage des JOP 2030 d’organiser une consultation du public. Le jour-même, le tribunal de Marseille a transmis la requête du collectif à la SOLIDEO, la Région PACA et le département des Bouches-du-Rhône. Celles-ci devaient répondre au tribunal avant le 28 septembre.

Le collectif a entrepris une troisième et dernière action en justice, auprès du Comité d’Aarhus, afin de faire condamner la France pour son non-respect de la Convention.

Enfin, un déplacement au CIO est prévu le 24 octobre prochain, en compagnie de député·es, de sénateur·ices et d’élu·es, se voulant représentatif·ves du territoire. « Rien n’est sûr pour le moment, mais le CIO sera peut-être plus enclin à accepter une demande de rendez-vous venant de la part d’un député ou d’un sénateur… Quoiqu’il en soit, ce convoi aura lieu ». Il permettrait notamment de demander au CIO d’annuler les Jeux, ou du moins, de les reporter, afin de mettre en place une mesure de consultation du public, mais également des études d’impact et des études environnementales en particulier.

En tant que citoyen·ne, comment soutenir la lutte ?

Pour Delphine, l’important reste de médiatiser le combat et les enjeux autour des JOP 2030. Il est également possible de soutenir financièrement le collectif, pour l’aider dans ses différentes actions en justice. Une pétition demandant la suspension du contrat olympique est notamment disponible en ligne. Le site du collectif comporte également une boîte à outils, comprenant des mails rédigés à destination des élu·es, afin de les solliciter au sujet de JOP.

Pour finir, j’ai demandé à Delphine ce qui lui semblait important de transmettre aux lecteurs et lectrices de cet article. « Il faut que les gens comprennent qu’il est nécessaire d’agir maintenant. Nous pourrons toujours lutter une fois que les travaux démarreront, mais ce sera beaucoup plus difficile. Si nous souhaitons que le projet ne voie jamais le jour, il faut s’activer dès maintenant, et notamment sur le plan juridique. Il est encore possible de faire marche arrière ! ».

Elle insiste également sur le fait qu’il ne s’agit « pas juste d’une histoire de JO. Détricoter comme ça notre loi, nos droits, avec la Loi Olympique, c’est un affaiblissement de notre État de droit, qui s’inscrit dans un contexte où nous avons de moins en moins de contre-pouvoirs ». À l’heure où les médias sont concentrés dans les mains d’une poignée de milliardaires, où la justice est prise pour cible par des personnalités politiques, il est plus qu’urgent de veiller au respect des droits et libertés, et de s’opposer aux atteintes qui y sont portées.

Lou Veyrat-Parisien
Septembre 2025

1 Article 7 de la Charte de l’Environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »

Haute-Savoie, près du Mont Charvin © Lou Veyrat-Parisien

Haute-Savoie, près du Mont Charvin © Lou Veyrat-Parisien

 

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