« Ce n’est pas qu’une question de JO » – Première partie
L’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2030 dans les Alpes pose bon nombre de questions démocratiques, écologiques et sociales.
Rencontre avec le Collectif Citoyen JOP 2030, qui porte un regard critique élaboré sur ces Jeux. Premier volet d’une enquête en deux parties.
« Les Alpes françaises ont été élues hôtes des Jeux Olympiques d’hiver de 2030. Ces Jeux ont vocation à établir un lien entre le nord et le sud des Alpes françaises pour en faire une plaque tournante des sports d’hiver, dans le but d’apporter un maximum de bénéfices sociaux et économiques aux populations. Les Alpes françaises 2030 ont pour ambition d’organiser des Jeux responsables et durables, ouverts à tous ». Voilà le projet annoncé par le Comité International Olympique (CIO), en p. 24 de son rapport annuel pour l’année 2024. De son côté, Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, a assuré à maintes reprises que ces Jeux seraient « les plus sobres de l’Histoire », tant d’un point de vue économique qu’écologique.
Pour comprendre quels seraient les véritables impacts de ces Jeux, j’ai interrogé Delphine Larat, membre du Collectif Citoyen JOP 2030. Cet entretien m’a conduite vers d’autres aspects des Jeux que je n’avais jamais envisagés jusqu’à présent. Le collectif, composé de juristes, d’avocat·es et de citoyen·nes, s’attache essentiellement à étudier les volets juridique et budgétaire du projet. Sur cette base, il s’est donné trois missions : informer, créer un lien avec les citoyen·nes, les médias et des personnalités politiques, et défendre nos droits, à travers des actions judiciaires.
Delphine s’est penchée sur le dossier des JOP 2030 à la demande de ses filles. « Elles ont toutes les deux skié à assez haut niveau pendant plusieurs années, et sont très attachées à leur territoire. Comme elles sont aussi sensibilisées à l’écologie, elle m’ont demandé de faire quelque chose ». De son côté, Delphine est formée à la coordination de projet de solidarité internationale, et a longtemps exercé en tant que consultante en évaluation de projet dans ce même domaine. « C’est mon métier, d’absorber des rapports et de produire des synthèses. Pour les JOP 2030, j’ai fait exactement la même chose ». Petit à petit, elle s’est rapprochée d’autres collectifs – No JO, Attac 05 entre autres – et a fait la connaissance de plusieurs personnes qui l’ont rejointe dans ce combat. Cet article s’appuie sur leurs analyses, qui font suite à de longues heures de lecture de rapports de plusieurs centaines de pages. Une démarche ardue mais primordiale, pour remettre un peu de clarté dans des documents rendus volontairement opaques. La lutte pour la démocratie passe également par là.
La France, candidate aux Jeux Olympiques et Paralympiques 2030
Le Comité International Olympique (CIO) est l’organisateur des Jeux Olympiques. Pour devenir candidat aux Jeux – et donc pays hôte – un État se doit de souscrire à un contrat d’adhésion défini par le CIO et de répondre à un certain nombre de garanties, fixées au nombre de 23 pour les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030. Le futur candidat doit également fournir un budget prévisionnel au CIO.
La France est devenue officiellement candidate le 7 novembre 2023, et a soumis un budget de 1,9 milliards d’euros au CIO, parmi lesquels 462 millions d’euros proviendraient de financements publics. Des chiffres qui ont cependant été réévalués dans un rapport mis en lumière par France Culture, le 15 septembre 2025. Ce rapport, à ce jour non publié, a été réalisé par l’Inspection Générale des Finances (IGF) et l’Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (IGÉSR), à la demande de Michel Barnier, avant son départ du gouvernement. Ainsi, le budget atteindrait davantage les 2,19 milliards d’euros, avec 724 millions d’euros d’argent public.
Ce budget ne couvre cependant que les frais du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP), chargé de l’organisation et de la planification des Jeux. Parallèlement à celui-ci, la France doit également tenir compte de deux autres budgets : celui de la SOciété de LIvraison DEs Ouvrages Olympiques (SOLIDEO) et un troisième couvrant les frais de mobilisation des administrations, permettant de mettre les services publics à disposition du CIO. Pour les Jeux de Paris 2024, ce budget représentait près de 2,1 milliards d’euros, selon la note d’étape de la Cour des Comptes datant de juin 2025, en p. 9. Bien que ces deux budgets soient certainement les plus conséquents, la France n’a jamais pris la peine de fournir ses estimations les concernant.
Précisons que la France a été sélectionnée au détriment de la Suisse et de la Suède, les deux autres candidates en lice. De fait, ces deux pays ont pour obligation de consulter leur population quant à l’organisation des Jeux sur leur territoire. « Le CIO ne voulait donc pas prendre le risque de sélectionner des candidats dont les populations seraient susceptibles d’infirmer le processus de candidature », explique Delphine. Un message on ne peut plus clair sur l’état de la démocratie en France, et sur la perception qu’en détient l’international.
D’où vient l’argent des Jeux ?
Le budget des Jeux est essentiellement alimenté par quatre sources : le CIO, le pays hôte – État, régions, départements pour la France -, les sponsors du pays hôte – pour les Jeux de Paris 2024, la France avait notamment signé des contrats avec ArcelorMittal, Aéroports de Paris, Air France et LVMH – et de l’argent public.
Le Collectif Citoyen JOP 2030 s’est attelé à réaliser une moyenne des financements publics inscrits dans les budgets des comités d’organisation des Jeux pour six candidatures pour les JOP d’hiver de 2022 et de 2026. Ainsi, sur ces six candidatures, environ 9,4 % du budget des Jeux aurait été pris en charge par des financements publics, avec un maximum de 14 % pour le Kazakhstan. Ce taux s’élève à 23 % dans le budget prévisionnel français pour les JOP 2030, un record mondial1…
Notons par ailleurs qu’au vu des délais extrêmement restreints entre la signature du contrat entre le CIO et les diverses parties prenantes – le CIO n’ayant apporté sa signature que le 9 avril dernier – et la livraison des Jeux, le budget pour la réalisation des infrastructures risque d’exploser. De fait, les prestataires bénéficient habituellement d’un délai de sept à huit ans pour concevoir les infrastructures, contre un délai de quatre ans dans le cas des Jeux 2030, celles-ci devant être livrées fin 2029. Une réduction qu’ils pourront utiliser pour justifier une hausse des prix.
Par ailleurs, nous parlons ici des budgets de candidature. Mais comme l’explique Delphine Larat : « On sait que tous les budgets qui sont dans les dossiers de candidature ont explosé. » Pour Paris 2024, le taux de dépassement du budget s’élève à 454 %, d’après un calcul effectué par le collectif, sur la base de la note d’étape de la Cour des Comptes citée précédemment.
Les garanties
Quant aux garanties, celles-ci couvrent de nombreux secteurs. Dans un premier temps, la France a livré trois garanties financières au CIO (voir encadré ci-dessous pour retrouver les détails de ces garanties). Une première estimée à 500 M d’euros, qui permettra de rembourser le CIO pour l’argent déboursé afin d’aider à l’organisation des Jeux. Néanmoins, ce chiffre n’est pas figé dans le temps. Si les Jeux sont annulés, le remboursement dépendra des sommes déjà versées par le CIO, mais également des dommages et intérêts que celui-ci sera en droit de réclamer, qui feraient probablement l’objet de négociations entre le CIO et l’État français.
Une deuxième garantie concerne ensuite uniquement l’État et les régions Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA). Les régions seront nécessairement contraintes d’emprunter pour pouvoir financer une partie des Jeux, notamment les infrastructures de transport (bus, trains), et assurer le fonds de trésorerie. L’État s’est ainsi porté garant pour ces emprunts, estimés à 200 M d’euros selon le rapport de l’IGF cité précédemment.
Enfin, si le COJOP présente un déficit à l’issue des Jeux, l’État se porte également garant pour prendre en charge ce déficit quel que soit son montant.
Dans un contexte où la France est en procédure de redressement financier par la Commission européenne, et dans la mesure où l’État devrait réaliser des économies importantes au cours de l’année 2026, est-il vraiment raisonnable de s’engager dans de pareilles dépenses, dont une grande partie est inconnue à ce jour ?
Contournement du droit français
Au-delà de ces garanties financières, la France a livré de nombreuses autres garanties au CIO (les références pour ces garanties sont également à retrouver dans l’encadré « Garanties » ci-dessous). Parmi elles, nous pouvons notamment citer le partage d’informations relatives à la sûreté et à la sécurité au CIO, mais aussi un accès sans réserve et prioritaire pour les personnes « accréditées » aux infrastructures de soin publiques, dont la mise en œuvre pourrait se faire au détriment des habitant·es de la région. L’État garantit également qu’il sera en mesure de fournir des bénévoles au CIO, qui répondront à l’ensemble de ses exigences – quitte à piétiner une partie du droit du travail, à commencer par le jour de congé hebdomadaire obligatoire. Enfin, le Contrat Hôte Olympique prévoit l’exonération fiscale du CIO et du chronométreur officiel des Jeux (Oméga) sur le territoire français.
Garanties
Les trois garanties financières se situent à la page 5 de la liste des garanties déterminées par le CIO. La première, estimée à 500 M d’euros, est détaillée à l’article 3.3 du Contrat Hôte Olympique, aux pages 9 et 10. Quant aux dommages et intérêts que le CIO sera en droit de réclamer en cas d’annulation des Jeux, cette mesure est mise en exergue à l’article 8.2 de ce même contrat, paragraphes b et c, page 13.
Les deux premières garanties financières ont toutes deux été inscrites dans le Projet de Loi de Finances 2025, page 183.
Par ailleurs, la deuxième et la troisième garantie sont, d’après le collectif, couvertes par l’article 5.1 du Contrat Hôte Olympique, se trouvant page 11.
La garantie sur le partage d’informations relatives à la sûreté et à la sécurité de l’État se situe à la page 2 de la liste de garanties fixées par le CIO, au point G 1.9. Elle est également étayée à l’article 17.4 du Contrat Hôte Olympique, aux pages 17 et 18.
L’accès prioritaire des personnes « accréditées » aux structures de soins est développé à la page 133 des Conditions opérationnelles du Contrat Hôte Olympique, dans la partie MED 05 – Olympic/Paralympic Village polyclinic(s). Ce point reste relativement ambigu. Il est précisé que les athlètes devront être pris·es en charge sans délais d’attente, sans pour autant que cette prise en charge affecte les utilisateur·ices des urgences.
La garantie concernant les bénévoles peut être retrouvée dans ces mêmes Conditions opérationnelles, des pages 77 à 79.
Enfin, l’exonération fiscale du CIO et d’Oméga est précisée à l’article 22.3 du Contrat Hôte Olympique, page 20.
En somme, toute une série de mesures illégales du point de vue du droit et de nombreux codes français (travail, urbanisme, environnement, patrimoine…). Mais c’était sans compter la Loi Olympique, qui permettrait de modifier les règles du jeu…
Le projet de Loi Olympique a été adopté le 24 juin 2025 au Sénat, via une procédure accélérée. Ainsi, ce projet de loi ne pourra faire l’objet d’un processus de navette parlementaire entre le Sénat et l’Assemblée nationale, pourtant constitutif du débat démocratique. Par ailleurs, il a été renvoyé au Sénat à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, « à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement ».
Ce projet de loi doit être discuté au sein de l’Assemblée nationale à la rentrée. Cependant, s’il présente « trop » d’amendements, il est fort probable, estime Delphine Larat, qu’il fasse l’objet d’une motion de rejet et soit renvoyé en commission mixte paritaire, à l’image de la Loi Duplomb. Dans ce cas de figure, le retour en arrière sera impossible. L’encadré ci-dessous résume quel est le processus parlementaire habituellement suivi lors de l’examen des futures lois.
Fonctionnement législatif
Pour rappel, le Sénat, comme l’Assemblée nationale et le Conseil Économique, Social et Environnemental sont composés de différentes commissions, travaillant sur des projets ou propositions de loi ciblées pour chacune d’entre elles. « Tous les Sénateurs, à l’exception du Président du Sénat, font partie de l’une des sept commissions permanentes, qui couvrent l’ensemble des champs de l’action publique. Les commissions se réunissent généralement chaque semaine pour examiner des textes législatifs ». Ce sont ensuite les rapporteur·euses désigné·es par ces commissions qui présentent un projet ou une proposition de loi lors des assemblées plénières, à l’ensemble des sénateur·ices / député·es, et exposent le résultat de leurs discussions en interne.
Certains projets ou propositions de loi peuvent être communs à plusieurs commissions de travail. C’est notamment le cas du projet de Loi Olympique, qui, de par son ampleur, était susceptible de toucher la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mais aussi celle de l’aménagement du territoire et du développement durable, celle des finances, des affaires sociales, des affaires économiques… En somme, la quasi-intégralité des commissions du Sénat. Dans ce cas de figure, le projet de loi peut faire l’objet d’une commission spéciale, réunissant différents membres (si ce n’est la totalité) de chaque commission. Cependant, étant donné que le gouvernement a saisi le Sénat trop tardivement, celui-ci n’a pu mettre en place de commission spéciale, réunissant différentes expertises. Ainsi, le projet de loi n’a pu être analysé que du point de vue de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, certes important, mais pas suffisant… Bien qu’il semble s’agir d’un aspect moindre, il est d’ores et déjà question d’une atteinte au processus de dialogue démocratique.
Que prévoit le projet de Loi Olympique ?
Rappelons-le, ce projet a essentiellement pour vocation de défaire une partie de notre droit, pour satisfaire les obligations contractuelles conclues avec le CIO. Un objectif clairement annoncé dès le Titre Ier du projet : « Dispositions permettant le respect des stipulations du contrat hôte ».
Le premier article stipule que « Le comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver des Alpes françaises 2030, le Comité international olympique et le Comité international paralympique sont reconnus de plein droit comme organisateurs des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 », une décision qui revient normalement aux fédérations sportives françaises, d’après l’article L. 331-1 du code du sport. Cependant, d’après l’Étude d’impact du projet de loi (p. 27), cette disposition présente un avantage de taille : « reconnaître par la loi la qualité d’organisateur des JOP de 2030 au CIO, au CIP et au COJOP Alpes permet, sans ambiguïté, à ces instances de bénéficier des exonérations fiscales prévues par l’article 1655 septies du code général des impôts. »
L’article 3 prévoit que du matériel et des infrastructures, auparavant soumises à des réglementations strictes concernant l’affichage de publicité, pourront ne plus répondre à ces réglementations exceptionnellement – y compris des immeubles classés ou inscrits au titre de monuments historiques.
L’article 30 énonce que « dans les communes d’implantation des sites de compétition des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 ainsi que dans les communes limitrophes ou situées à proximité de ces sites, le représentant de l’État dans le département peut […] autoriser un établissement de vente au détail qui met à disposition des biens ou des services à déroger à la règle du repos dominical prévue à l’article L. 3132-3 du même code en attribuant le repos hebdomadaire par roulement, pour une période comprise entre le 1er janvier 2030 et le 31 mars 2030 », soit une première atteinte au droit du travail.
L’article 34 déclare qu’« aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, le ministre de l’Intérieur peut […] prononcer à l’égard de toute personne […] une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés dans lesquels se tient un grand événement ou grand rassemblement ». En somme, une restriction de liberté, suffisamment vague pour qu’elle puisse s’appliquer à toute personne faisant l’objet d’une procédure administrative et/ou susceptible de perturber le bon déroulement des Jeux.
Le sénateur des Hautes-Alpes, Jean-Michel Arnaud, a également ajouté un amendement au projet de loi initial, sur une extension de la mesure d’expropriation d’extrême d’urgence qui, au-delà des infrastructures sportives, pourra également toucher les infrastructures de transport (Article 15). Cette mesure permet ainsi à l’État de fixer un prix à un bien – souvent plus bas que le prix effectif du bien ciblé – et de le racheter, en déposant un arrêté d’expropriation en moins de 48 heures.
Selon le Collectif Citoyen JOP 2030, ce projet de loi impactera, s’il est adopté définitivement, plus de vingt codes et réglementations françaises. « Pourquoi ça ne fait pas bondir la population ? C’est une perte totale de souveraineté, on se soumet intégralement à une association ! », s’insurge Delphine. « Le CIO est simplement une association de droit suisse à but non lucratif. C’est comme si demain, l’association de yoga de Gap voulait faire une convention internationale à Budapest, et disait aux Hongrois : « Écoutez, vous allez détricoter votre droit, parce que voilà la manière dont je veux organiser la convention internationale de yoga ». Tout le monde trouverait ça anormal, mais c’est pourtant ce qui est en train de se passer ! »
Le collectif s’active actuellement à alerter les député·es sur le fond du projet de loi, car « la plupart d’entre eux n’ont aucune idée de ce que recouvre la Loi Olympique » selon Delphine. « Un groupe sur les JOP 2030 a été créé avec 25 députés, nous leur avons envoyé un courrier leur exposant tous les enjeux. Nous en avons également profité pour leur dire qu’en leur qualité de députés, ils devaient contrôler l’emploi des finances publiques. Nous avons aussi demandé à être auditionnés par la commission des Lois et par la commission des Finances de l’Assemblée nationale ».
Au-delà de cette activité de plaidoyer, le collectif alerte également sur un manque de dialogue avec les citoyen·nes, pourtant obligatoire d’après le droit français et le droit international… Cet aspect sera abordé dans la deuxième partie de cette enquête.
Lou Veyrat-Parisien
Septembre 2025
1Voir p. 13 et 14 de l’Analyse Synthétique des Enjeux Juridiques et Financiers, publiée par le collectif
Tout est politique, y compris les choix du quotidien. Ici nous interrogeons les politiques publiques qui posent un cadre à nos existences, dans leur articulation à l’économie et à la législation.