Journée mondiale des vers de terre : « faire passer du beurk au waouh »
La Journée mondiale des vers de terre, qui vient d’avoir lieu le 21 octobre, met en lumière ces travailleurs invisibles, essentiels à la vie des sols. Souvent dédaignés, ils sont pourtant au cœur de la fertilité terrestre. Leur présence, leur santé et leur abondance disent beaucoup de l’état de nos terres agricoles. Mais, pris entre décisions politiques contradictoires et indifférence, leur avenir reste incertain.
L’été 2025 a marqué un tournant pour les vers de terre. Le 12 août dernier, la loi Duplomb a été promulguée par Emmanuel Macron, malgré une opposition exceptionnelle des citoyens français. Ce texte présenté comme une simplification pour le monde agricole assouplit considérablement les normes environnementales, en autorisant l’utilisation de certains pesticides interdits depuis 2018. D’après Christophe Gatineau, agronome et président de la Ligue de protection des vers de terre, elle représente « un recul sans précédent du bien être animal et l’abandon de l’agriculture durable au profit de la performance économique ». Il parle d’un « arrêt de mort » pour les vers de terre au regard de la toxicité des pesticides pour leur santé.
Or, à peine un mois plus tard, le 3 septembre dernier, la Cour administrative d’appel de Paris a rendu un arrêt pas moins décisif pour le sort des vers de terre. Saisie par cinq Organisations Non Gouvernementales, la Cour d’appel a condamné l’État à revoir son autorisation de mise sur le marché de pesticides interdits, à la lumière d’études scientifiques sur leur toxicité pour certaines espèces animales. Christophe Gatineau parle d’une « victoire historique pour les vers de terre ». Cependant, il s’interroge sur la véritable efficacité de cette décision de justice. « En contentieux administratif, on a coutume de dire que l’État juge l’État. Mais qui peut contraindre l’État à exécuter ce jugement ? On se souvient de ses multiples condamnations pour inaction climatique, restées sans suite. »
Les vers de terre, baromètres du vivant et bâtisseurs du sol
Loin des clichés, les vers de terre ne sont pas les “ingénieurs du sol” tout-puissants qu’on imagine. Comme le rappelle Christophe Gatineau, « le sol n’est pas une administration, personne ne le gouverne. Les vers de terre ne sont que la partie émergée de l’iceberg nourricier ».
Ils n’en demeurent pas moins des acteurs clés de la biodiversité souterraine : ils creusent des galeries qui facilitent l’infiltration de l’eau et de l’air, digèrent la matière organique, et participent activement à la formation de l’humus. Leur disparition menace la capacité des sols à retenir l’eau, à se régénérer et à produire.
Selon une étude publiée en 2023, compilant un siècle de données scientifiques, les populations de vers de terre auraient chuté de 33 à 41 % en Europe au cours des 25 dernières années, avec une tendance à la baisse continue. Les principales causes de cette évolution sont le labour intensif, les sols nus laissés sans couverture végétale, les engrais chimiques, et bien sûr les pesticides. « La première cause de mortalité des vers de terre, c’est la destruction de leur habitat et la famine. Les pesticides ne viennent qu’en second », souligne Christophe Gatineau.
Or, les vers de terre sont des bioindicateurs, leur abondance reflète la santé des sols, leur raréfaction annonce une dégradation. Leur déclin silencieux est un signal d’alarme sur l’avenir de nos écosystèmes et de notre agriculture.

Christophe Gatineau © XDR
Faire évoluer notre regard sur le monde souterrain
Changer notre rapport aux vers de terre, c’est aussi changer notre rapport au vivant. Le plus souvent considérés comme sales ou insignifiants, ils sont pourtant indispensables à la vie sur Terre. « Notre futur dépend des sols nourriciers, et ces sols dépendent des vers de terre », résume la Ligue de protection des vers de terre.
L’association mène un travail de sensibilisation, notamment auprès du jeune public, avec pour objectif de « faire passer du beurk au waouh ». Le but est d’éveiller la curiosité, d’apprendre à connaître ces animaux, et de montrer qu’ils sont des alliés silencieux de notre alimentation.
Mais au-delà de la pédagogie, c’est la volonté politique qui manque. « La solution, c’est la loi : revenir à la transition agroécologique et aider les agriculteurs à aller dans ce sens. Pour le reste, on sait faire », insiste Christophe Gatineau.
Encore faut-il que les décisions de justice ne restent pas lettre morte et que la société accepte de regarder autrement ceux qui œuvrent, sous nos pieds, à la survie de nos sols.
Amélien Gay, 28 octobre 2025
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