Des citoyens ordinaires reprennent le pouvoir sur les déchets
Jeudi 27 novembre, le documentaire Ordinaire de Jérémi Stadler était projeté au cinéma La Baleine, en présence de Marion Lescaut (Le Carnet de Mimi) et de Fiona Cosson, directrice de Zéro Waste Marseille. Organisé par Nature Peinture dans le cadre du projet « La Parole en Grand ! », ce ciné-débat interroge comment les citoyens s’emparent des déchets pour reprendre du pouvoir et inventer des solutions.
« J’ai passé le stade du choc par les déchets, ça devient presque normal, c’est ça qui est flippant ». Tom Flambeau, plongeur à Biarritz, est le premier portrait d’Ordinaire. Il ramasse des plombs dans l’océan. Des tonnes et des tonnes de plombs de pêche. Il les ramène chez lui, seul et à vélo, pour ensuite les trier et les fondre. Face à la caméra, le plongeur assume ne toujours pas savoir quoi faire de ce « butin ». Il reconnaît pourtant que cela le « soulage de les savoir en dehors de l’océan ».
Réalisé par Jérémi Stadler, Ordinaire est une épopée « à la rencontre de l’ordinaire », présenté jeudi 27 novembre au cinéma La Baleine dans le cadre du projet La Parole en Grand !, porté par la coopérative Nature Peinture. En 2017, le réalisateur de 27 ans fait une rencontre. Une idée germe : il veut réaliser une collection de portraits sur des personnes qui se mobilisent dans la lutte contre les déchets. Alors il parcourt 2000 kilomètres à vélo, entre Montpellier et La Rochelle. Non pas pour aligner des performances physiques de fou du vélo, mais pour assouvir son projet en limitant son impact carbone.
Ordinaire ne théorise pas. Il montre. Les images sont brutes, simples et belles. C’est d’ailleurs la mission du projet : accorder une importance à l’esthétique avec un matériel suffisamment léger pour être transportable à vélo.
« L’activiste a l’ambition des pouvoirs les plus fous »
Les portraits s’enchaînent comme une cartographie de micro-résistances. Dans son périple, Jérémi Stadler rencontre Marion Lescaut. À l’origine, elle est clerc de notaire. Elle finit par tout arrêter pour ramasser des masques jetables et s’en servir de matière première. Elle crée Le Carnet de Mimi, pour « faire du beau avec du crado » et transformer les souillures en œuvres. « Je suis trop décalée avec cette société, elle me fait flipper, elle est trop flippante », partage-t-elle dans le film. Les images du documentaire montrent des amas de masques, sur les bords des routes, sur les parkings, dans la forêt, partout. Des tonnes de polypropylène promises à l’enfouissement. « Avec mon travail, je montre toute la merde que les gens ne veulent plus voir », résume-t-elle. Marion rappelle : « qu’on le veuille ou non, ramasser un masque, le montrer, l’exposer, c’est déjà un acte politique ».
Plus loin sur son trajet, le vélo de Jérémi Stadler s’arrête chez Edmund Platt, originaire de Leeds, installé en France depuis dix ans. Ce personnage haut en couleurs a lancé le projet Un déchet par jour pour interroger ce qui ne va pas sur terre et ce que lui, humain, peut faire concrètement. « On est tous consommateurs, on est tous capables d’agir pour la planète, j’attends ça des gens », assène-t-il, frontal, face à la caméra. Selon cet activiste, « il n’y a rien de plus fort que montrer l’exemple ». Pour le réalisateur d’Ordinaire, Edmund Platt a réussi à transformer son éco-anxiété en éco-humanité.
Selon Catherine Verne, une psychologue interviewée dans le film, « l’activiste a l’ambition des pouvoirs les plus fous ». Dans l’histoire, rappelle-t-elle, l’activisme a « un pouvoir exorbitant » qu’il ne faut pas sous-estimer. Selon elle, « lorsque l’on est passif, on aggrave la situation, l’activisme c’est le choix nécessaire ».
De l’individu au collectif
Une fois le générique passé, la lumière se rallume, les applaudissements de la cinquantaine de spectateurs fusent et le débat s’ouvre. Adrien Piquera, président de Nature Peinture et organisateur de la soirée remercie le public, puis pose une question à Marion Lescaut et Fiona Cosson :
« Comment passer de ces actions solitaires à un véritable pouvoir citoyen ? » « Moi, j’ai commencé seule, dans mon coin », livre Fiona Cosson, fondatrice de Zéro Waste Marseille. « Aujourd’hui, il y a une équipe salariée, des bénévoles, des partenaires, des commerçants. On se retrouve au café, on parle tri, réduction des déchets. C’est devenu une culture partagée », poursuit-elle. La fondatrice de Zéro Waste annonce la sortie, le jour même, de son nouveau projet : Le guide Tarpin Moins. Le livret recense plus de 200 adresses de commerces, associations et lieux ressources pour réduire ses déchets.
Marion Lescaut raconte, elle, comment ses propres voyages ont tissé un réseau informel de personnes engagées : associations locales rencontrées sur la route, collaborations artistiques, amitiés nées d’un ramassage de plage ou d’une exposition. « On a créé une espèce de famille qui gravite un peu partout en France et dans le monde », explique-t-elle au micro. Forcée d’abandonner les tonnes de masques récoltées, faute de solution de stockage et après de nouveaux « déboires complexes », Marion Lescaut se dit « toujours optimiste ».
Pas de place pour stocker les quantités astronomiques de masques jetables ? Qu’importe. La jeune femme a déjà retrouvé une cause où engager son énergie débordante : 16 containers transportant des granulés de plastique ont été perdus au large de la Galice. Elle sillonne alors les plages du Nord de la France jusqu’en Espagne pour les ramasser. Toujours avec l’objectif de montrer ce que l’on ne veut pas voir, elle en fait des bijoux. Non pas pour sublimer ces morceaux de plastique, mais pour que l’on reparte avec « l’histoire qu’ils racontent ». Le déchet devient à la fois preuve, mémoire et avertissement à porter sur soi.
Dans le public, une spectatrice résume : « Pour passer de l’individuel au collectif, ce qui fonctionne, ce sont les outils d’inspiration. Ce documentaire en est un. Il rend visibles des petites initiatives et donne envie de s’y mettre ».
Camille Mercan
Décembre 2025
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