En montagne, de nombreuses activités de travail ou de loisir coexistent. Les randonneurs croisent des bergers et leurs troupeaux, protégés par de gros chiens contre le loup et autres prédateurs. Avec parfois la crainte de se faire croquer ! Depuis quatre ans, France Nature Environnement Paca a lancé le programme Alpatous, pour mener des campagnes de sensibilisation au rôle de ces chiens, et partager les bons comportements à adopter avec eux.
Entretien avec Bernard Vallat, bénévole.
Comment avez-vous intégré le programme Alpatous ?
J’ai participé à la première session de formation, en 2021. Je l’ai découvert un peu par hasard, sur Internet. Je me suis toujours intéressé au pastoralisme, même si je vis en ville, car je fais beaucoup de randonnées. Quand j’ai commencé, le loup n’était pas encore arrivé, les troupeaux étaient plus facilement accessibles ; j’ai souvent discuté avec les bergers et bergères de leur métier, etc…
Un jour, j’ai commencé à voir ces chiens de protection. Je n’avais pas trop d’expérience, je ne savais pas comment me comporter. Cela s’apprend ! La formation présentait un double intérêt : à titre personnel, comprendre leur raison d’être et la façon dont il convient de réagir quand on les rencontre ; et aussi, comme beaucoup de jeunes retraités, je cherchais un projet où m’investir en tant que bénévole.
Vous avez suivi le retour du loup, dans les années 1990, et sa progression en France ?
Je m’intéresse aussi au loup, je fais partie, depuis 2021 également, du Réseau Loup Lynx, qui opère un suivi des populations, piloté par l’Office français de la biodiversité. L’OFB a également besoin de bénévoles, pour récolter des indices de présence.
Comment se passe la formation Alpatous ?
Elle se déroule sur deux journées, vendredi et samedi, pour permettre aux salariés de ne poser qu’un jour d’absence afin d’y assister. D’abord un temps théorique, en salle, avec des intervenants de l’OFB, sur la biologie et la vie sociale du loup ; la Direction départementale des territoires, souvent celle des Alpes-de-Haute-Provence, sur les aspects réglementaires, les aides, indemnisations ; le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée, concernant le pastoralisme ; et l’Institut de l’élevage, qui facilite la mise en place des chiens de protection chez les éleveurs. Puis le samedi après-midi, une visite sur le terrain, auprès d’un troupeau.
Ensuite, vous êtes opérationnels ?
En 2021, nous avons un peu essuyé les plâtres du programme. Il y avait une mise en pratique individuelle. Depuis, il y a eu des améliorations, par exemple depuis 2023, FNE a prévu des jeux de rôle durant la formation, pour permettre aux bénévoles de se familiariser avec la rencontre des usagers de la montagne. Une personne du groupe incarne un randonneur ou un vttiste, et l’objectif est de se préparer à lui apporter des informations sur la présence et le rôle des patous, comment interagir avec eux. Initialement, on travaillait un peu de manière isolée, chacun à proximité de chez lui. Aujourd’hui c’est différent, la responsable du programme propose des sorties en groupe de cinq ou six personnes. On essaie de couvrir les six départements de Paca.
Est-ce que les bénévoles d’Alpatous sont plutôt des retraités, comme vous, ou y a-t-il aussi des jeunes ?
Cette année je ne sais pas, mais sur les formations précédentes, les participants étaient d’âges et de profils variés. Depuis 2022 des professionnels sont aussi présents (guides, accompagnateurs en montagne, agents ou bénévoles des parcs régionaux). Le programme fonctionne bien, depuis 2023 il a été étendu à la région AURA, piloté par FNE Ain.
À quel rythme faites-vous des sorties de sensibilisation ?
On planifie en moyenne une sortie de groupe par semaine, parfois tous les 15 jours. J’en fais par ailleurs moi-même à titre personnel, d’avril à septembre, quand les troupeaux sont de sortie, chez moi dans le Vaucluse. Dans les Alpes, les grosses périodes de fréquentation des massifs sont plus concentrées sur juillet-août.

Troupeau en altitude -Alpes © Geneviève Barrillon
Comment se passent les interactions avec les usagers de la montagne ?
Personnellement, je n’ai jamais rencontré de personnes agressives. Une très faible minorité ne sont pas intéressés, auquel cas nous n’insistons pas, mais les gens sont plutôt réceptifs. Souvent, ils n’ont aucune notion de ce qu’est le pastoralisme, et encore moins des chiens de protection, donc ils sont curieux. Cela les rassure que nous leur transmettions les bonnes attitudes [ ndlr : rester calme, passer son chemin et contourner largement le troupeau sans courir, éviter les gestes brusques, ne pas leur donner à manger ou tenter de les caresser ]. Nous leur expliquons que le travail de ces chiens est la dissuasion, ce n’est pas de la défense ou de l’attaque.
Quelle est la nuance ?
Leur but est de décourager toute menace sur le troupeau. Certains considèrent qu’un chien qui avance vers eux en aboyant les agresse, alors que c’est leur fonction. Ils ne viennent pas pour mordre, mais pour faire comprendre au passant qu’il ne faut pas rester là. J’ai rencontré une fois une personne qui s’était fait mordre, mais elle m’a avoué après coup qu’elle avait traversé le troupeau, sans tenir compte de l’avertissement. Ce qu’il ne faut surtout pas faire !
C’est gratifiant, cette mission ?
Oui, beaucoup de gens nous remercient. Avec les éleveurs, c’était un peu compliqué au début, dans la mesure où FNE a plutôt une image d’association « pro-loup », ce qui ne leur plaisait pas forcément. Mais ceux que j’ai rencontrés récemment sont plus participatifs. Ils sont conscients que ces chiens posent des problèmes, certains se sont retrouvés au tribunal suite à une mauvaise rencontre de randonneurs avec un patou. En conséquence, ils les sociabilisent plus. Ce sont des chiens totalement autonomes, quand ils sont au troupeau, ils réagissent aux stimulis ; même si le berger est présent, il ne peut généralement pas les rappeler. Aussi on ne parle pas de dressage, mais d’éducation, pour qu’ils ne considèrent pas les humains comme une menace.
Et donc les éleveurs perçoivent vos interventions d’un meilleur œil ?
Ils y sont plus favorables à présent, car ils comprennent que plus nombreuses seront les personnes informées des bonnes attitudes à adopter, moins il y aura de problèmes. Depuis 2020, notamment suite au Covid, il y a beaucoup plus de monde en montagne, les gens ont besoin de nature. L’objectif principal du programme est que les différents usagers cohabitent bien.
Avec ce recul de quatre ans écoulés, vous en concluez que le programme est pertinent ?
Je pense qu’il l’est, en effet. Ces deux dernières années, j’ai rencontré sur les sentiers plusieurs adeptes de la bombe au poivre, qui craignaient les chiens de protection et n’auraient pas hésité à s’en servir « en cas d’urgence ». Je peux partager l’histoire d’un randonneur qui s’en est servi contre un patou, dans le 04 il y a quelques temps. Cela a rendu le chien plus agressif avec les personnes qui sont passées après. Ils sont comme nous, ils mémorisent ! Même un animal plutôt calme peut devenir agressif dans ces circonstances. La bombe au poivre est contre-productive.
Propos recueillis par Gaëlle Cloarec, le 24 avril 2025

Bernard Vallat © XDR
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