Archive d’étiquettes pour : tiers-lieu

Comment concilier vie en ville et pratique agricole ? Que faire pour se lancer dans une telle activité ? Rencontre avec deux pépiniéristes et une floricultrice, installées à Marseille.

Mener une activité agricole tout en vivant en ville, cela peut être un rêve. Pour Joséphine, Juliette et Marie-Laure, c’est une réalité très concrète. Leurs productions sont installées au Grain de la vallée, aux portes de Marseille, tout près de la Penne-sur-Huveaune. La gare de la Penne est à 10 minutes à pied de cette ancienne école, transformée en tiers-lieu agri-culturel depuis 5 ans. Le 25 mai, lors des 48 heures de l’agriculture urbaine, Le Grain de la vallée proposait diverses activités, rencontres et ateliers, mêlant art et agriculture. Joséphine et Juliette, fondatrices de la pépinière Mastoc, et Marie-Laure, qui a lancé Fleurs de Marseille, animaient une rencontre pour présenter le parcours qu’elles ont suivi.

Le Grain de la vallée © JCS

Le Grain de la vallée © JCS

Reconversion professionnelle
Toutes les trois ont en commun d’être en reconversion professionnelle. Marie-Laure, la quarantaine, était engagée dans la communication et le marketing, Joséphine, la trentaine, réalisait des décors de spectacle, et Juliette, la trentaine également, travaillait auprès d’enfants autistes, notamment en école Montessori. Pour chacune, le déclic s’est produit lors de la période du covid. L’envie de changer de vie et de se reconnecter à la nature. Il leur a fallu à la fois se former et surtout trouver le terrain où s’installer.

La recherche du foncier est le premier enjeu pour l’installation en agriculture urbaine. Joséphine et Juliette ont d’abord commencé leur activité dans une petite serre de 10m², installée dans le jardin d’un de leurs amis. Dans le même temps, Juliette rejoint une formation avec Veni Verdi, à Paris. « C’était très complet, sur tous les aspects, à la fois dans le domaine végétal et dans celui du montage administratif de notre structure », explique-t-elle. Elle suit également un Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BPREA), et lors d’un stage à Aubagne, découvre le métier de pépiniériste. « Initialement, on voulait faire du plein champ et des plants, mais c’est difficile, on a finalement préféré se concentrer sur la pépinière », poursuit-elle. En créant Mastoc, un jeu de mots avec estomac, elles choisissent de cultiver des plantes comestibles, fleurs, légumes ou aromatiques, 100% bio.

Mastoc, plantes à manger © JCS

Mastoc, plantes à manger © JCS

Préparer le terrain
Il leur faut alors trouver le terrain où s’installer. Le réseau et les rencontres sont déterminantes sur ce point. La Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement (DREAL) propose un aperçu des parcelles disponibles, et la Cité de l’Agriculture, qui organise à Marseille les 48 heures de l’agriculture urbaine, n’aide pas directement à l’obtention du foncier, mais elle peut favoriser les mises en contact. Ce réseau élargi a permis à Mastoc et à Fleurs de Marseille de s’installer au Grain de la vallée. Joséphine et Juliette y ont implanté leur serre et Marie-Laure cultive en plein champ des fleurs ornementales, 100% bio également.

En pratique, chaque résident du tiers-lieu verse une contribution au Grain, qui paye un loyer symbolique à la ville de Marseille, propriétaire du terrain. Mais avant l’installation concrète, il a fallu aménager l’espace. Sur le site se trouvaient du fer ou du polystyrène, héritage de chantiers de bâtiments précédents, et également beaucoup de cailloux. La revalorisation de la terre pour la mise en culture a pris du temps, mais elle offre désormais d’excellentes conditions. « On a aussi laissé une partie volontairement en friche, et on fait régulièrement des recensements de biodiversité, précise Marie-Laure. Même en bio, on a un impact, c’est important de le constater. »

Fleurs de Marseille © JCS

Fleurs de Marseille © JCS

Se structurer
Avant de s’installer, Marie-Laure est passée par Hectar, en région parisienne. Dans ce lieu, mêlant la culture start up et l’agriculture, elle a participé au programme Tremplin, qui l’a aidée à développer son projet d’entreprise. Puis elle a suivi une formation en agroforesterie au Domaine des Possibles à Arles. Enfin, elle a rejoint le dispositif d’Inter-Made, à Marseille, qui l’a accompagné vers la création de son activité.

Définir quelle structure juridique correspond à son projet est également déterminant, et les conseils d’un bon accompagnement sont décisifs pour cette orientation. Marie-Laure a opté pour l’entreprise, car son modèle économique repose sur l’activité commerciale. « La vente de fleurs représente 70 à 80% de mes ressources. Une association ne peut pas dépasser 30% de vente. »

Les deux pépiniéristes de Mastoc, en revanche, ont choisi le modèle associatif. Les collectivités locales ont pris conscience que revégétaliser la ville est un enjeu primordial, et elles peuvent soutenir des projets en ce sens. La structure en association permet d’accéder à des subventions publiques, ce qui a incité les deux jeunes femmes à adopter cette formule. Mais constituer des dossiers de subventions est complexe. « Il faut utiliser un jargon technique pour parler de quelque chose de très pratique, et cela prend beaucoup de temps. Pour le moment, nous ne sommes pas encore subventionnées », relève Joséphine.

Sous la serre de Mastoc © JCS

Sous la serre de Mastoc © JCS

Leur activité se divise entre la vente de leurs plants et les actions pédagogiques. Leurs revenus proviennent majoritairement d’ateliers qu’elles animent chaque semaine dans une école. « La pépinière représente l’essentiel de notre travail, et on vend notre production sur place et sur les marchés, mais les interventions en milieu scolaire constituent notre ressource financière principale, résume Juliette. Et il y a beaucoup de demande dans ce secteur. »

Parvenir à vivre d’une activité d’agriculture urbaine n’est pas simple mais pas non plus impossible. Les premières années sont compliquées, Mastoc et Fleurs de Marseille, qui ont moins de trois ans d’existence peuvent en témoigner. Joséphine et Juliette sont auto-entrepreneuses, elles facturent leurs animations d’ateliers, mais reconnaissent qu’il leur est encore difficile de se dégager un véritable revenu. Marie-Laure vend sa production sur des marchés et à des fleuristes de Marseille. Elle fournit également quelques boutiques dans son quartier, comme cette supérette qui a proposé ses fleurs lors de la fête des mères. Mais c’est surtout grâce à l’événementiel, où le volume de commandes est plus élevé, qu’elle peut se payer.

Malgré ces difficultés, aucune d’elles ne regrette de s’être lancée dans l’aventure. « On est hyper chanceuses. Tous les matins, on quitte la ville et son brouhaha, on arrive en pleine nature, et le soir, on rentre et on retrouve le mode de vie urbain. »

Jan-Cyril Salemi
Juin 2024

Changer le monde © JCS

Changer le monde © JCS