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La Durance est une rivière qui descend des Alpes vers la Provence. Elle parcourt plus de 300 kilomètres avant de se jeter dans le Rhône, qui lui-même court jusqu’à la Méditerranée. Avec ses affluents, elle alimente en eau une bonne part de la région Sud. Nous, les humains, nous servons d’elle pour irriguer les champs, produire de l’électricité avec des barrages, alimenter des usines, refroidir les installations nucléaires d’ITER, faire du canoë ou du canyoning, et tout simplement boire. Pour tous ces usages, nous utilisons massivement cette ressource, la plupart du temps sans y penser plus que ça.

Or, afin de plier la Durance à nos besoins, il a fallu la détourner, la discipliner, l’aiguiller, la canaliser. Aujourd’hui, elle ne ressemble plus du tout à ce qu’elle était durant des siècles, une rivière sauvage s’écoulant librement, avec ses berges en constante évolution. Un écosystème incroyablement riche, vital non seulement pour les humains, mais pour une infinité de plantes et d’animaux. Si elle continue à abreuver les territoires qu’elle traverse, à alimenter les nappes phréatiques sous le sol, et les zones humides en surface, elle assure moins bien ces fonctions écologiques essentielles.

Nous la préférons plutôt rectiligne, sans ses méandres mouvants. Cela facilite l’exploitation agricole mécanique en bordure, les entreprises du bâtiment peuvent racler sable et graviers dans son ancien tracé. Malheureusement, l’extraction de matériau se fait au détriment de la biodiversité. Quand elle file tout droit, l’eau va plus vite et creuse le lit, parfois jusqu’au substrat rocheux, mettant à nu « l’os » de la terre.

Gravière en bord de Durance, Vaucluse © G.C.

Retrouver la souplesse naturelle

Dans leur film documentaire Méandres ou la rivière inventée, Marie Lusson et Émilien De Bortoli évoquent les opérations de renaturation qui entreprennent de ré-adoucir les berges dans les cours d’eau du sud. Tout de suite, les animaux qui n’y avaient plus accès en raison des pentes trop escarpées reviennent boire. Autant de vies sauvées lors des sécheresses et canicules. Une grande variété d’habitats aquatiques, c’est aussi préserver les poissons d’eau calme comme les carpes et ablettes, ou d’eau vive comme les truites, les goujons, tout autant que les grenouilles, les libellules…

Décidément, une rivière qui regagne un peu son lit, dans le respect de ses cycles spontanés, présente bien des avantages. Et ce, de la montagne à la mer. L’eau s’infiltre mieux dans les secteurs moins artificialisés, ce qui limite les risques d’inondations. Aujourd’hui, les barrages, qui retiennent les sédiments, ne leur permettent plus de venir renforcer le littoral marin, dont l’érosion s’aggrave alors même que la mer monte sous l’effet du changement climatique.

L’association SOS Durance Vivante a rédigé un Manifeste pour une déclaration commune de ses droits, en tant que milieu naturel. Il récapitule bien les changements qui seraient nécessaires dans le cadre juridique de l’environnement. Des réformes d’autant plus urgentes que si rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la Durance, comme le Rhône et autres grands cours d’eaux français, va voir son étiage diminuer fortement. D’ici 2050, selon les scientifiques, elle pourrait carrément devenir… un oued ! Soit une rivière qui ne serait plus alimentée en eau que de manière intermittente. C’est ce qui inquiète l’association L’Étang Nouveau, basée à Saint-Chamas, qui milite pour que la Durance retrouve son cours naturel.

Débits naturels et actuels de la Durance (thèse de doctorat en géographie Sylvie Juramy / Isabelle Monfort)

S’inspirer des castors

Lors d’un webinaire sur les inondations en montagne organisé le 2 décembre 2024 par la Société Alpine de Protection de la Nature (SAPN-FNE Hautes-Alpes), Hervé Gasdon, son président, alertait sur le risque climatique. « Il y aura de plus en plus de glissements de terrains, de plus en plus de maisons menacées par les crues torrentielles. Comment va-t-on pouvoir faire en sorte que tous ces habitants soient indemnisés pour partir vivre ailleurs ? »

À une question sur les barrages de castors, Éric Burlet, chargé de mission rivière du SMIGIBA, (Syndicat Mixte de Gestion Intercommunautaire du Buëch et de ses affluents) témoignait de leur bon sens : « les castors ne s’acharnent pas, quand le premier barrage est emporté par une crue, ils vont en faire un sur un autre cours d’eau moins pentu ».

Il est certes malaisé, pour des humains qui se perçoivent comme « maîtres et possesseurs de la nature » (coucou Descartes !) de relativiser l’impression qu’ils vont tout maîtriser. Les Plans de prévention des risques (PPR) délimitent des zones rouges non constructibles dans les cônes de déjection, mais ne couvrent pas tout. Certaines parties sont bâties, voire carrément urbanisées, et il peut être politiquement mal vu de tenir compte des événements extrêmes de plus en plus fréquents. Les habitations pourraient perdre de leur valeur marchande…

Bernard Patin, administrateur de la SAPN, précisait qu’un cours d’eau « entretenu » pour réduire les risques d’inondations ou de glissement de terrain n’est pas forcément celui qui est le plus riche écologiquement. « Il faut trouver un équilibre pour chaque situation afin de réduire les risques pour l’aval tout en favorisant la biodiversité. »

C’est le gros travail qui nous attend, revoir nos priorités. Il ne fait pas bon vivre dans un monde aux écosystèmes appauvris, avec un climat instable et brutal. Nous aurions tout à gagner à laisser la Durance reprendre ses droits : plantes, animaux, humains, chacun dans ses environs résistera mieux.

Gaëlle Cloarec, le 24 février 2025


Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat Qui Vive / FNE Paca


Pour aller plus loin :

  • Le film Méandres ou la rivière inventée de Marie Lusson et Émilien De Bortoli (2023, 1h13) ne porte pas spécifiquement sur la Durance mais permet de bien saisir les enjeux de renaturation. Il sera diffusé le 28 février à 18 h au Vidéodrome 2 (Marseille), dans le cadre du Festival La première fois, en présence des réalisateurs : https://www.videodrome2.fr/festival-la-premiere-fois-meandres-ou-la-riviere-inventee/

Comment concilier vie en ville et pratique agricole ? Que faire pour se lancer dans une telle activité ? Rencontre avec deux pépiniéristes et une floricultrice, installées à Marseille.

Mener une activité agricole tout en vivant en ville, cela peut être un rêve. Pour Joséphine, Juliette et Marie-Laure, c’est une réalité très concrète. Leurs productions sont installées au Grain de la vallée, aux portes de Marseille, tout près de la Penne-sur-Huveaune. La gare de la Penne est à 10 minutes à pied de cette ancienne école, transformée en tiers-lieu agri-culturel depuis 5 ans. Le 25 mai, lors des 48 heures de l’agriculture urbaine, Le Grain de la vallée proposait diverses activités, rencontres et ateliers, mêlant art et agriculture. Joséphine et Juliette, fondatrices de la pépinière Mastoc, et Marie-Laure, qui a lancé Fleurs de Marseille, animaient une rencontre pour présenter le parcours qu’elles ont suivi.

Le Grain de la vallée © JCS

Le Grain de la vallée © JCS

Reconversion professionnelle
Toutes les trois ont en commun d’être en reconversion professionnelle. Marie-Laure, la quarantaine, était engagée dans la communication et le marketing, Joséphine, la trentaine, réalisait des décors de spectacle, et Juliette, la trentaine également, travaillait auprès d’enfants autistes, notamment en école Montessori. Pour chacune, le déclic s’est produit lors de la période du covid. L’envie de changer de vie et de se reconnecter à la nature. Il leur a fallu à la fois se former et surtout trouver le terrain où s’installer.

La recherche du foncier est le premier enjeu pour l’installation en agriculture urbaine. Joséphine et Juliette ont d’abord commencé leur activité dans une petite serre de 10m², installée dans le jardin d’un de leurs amis. Dans le même temps, Juliette rejoint une formation avec Veni Verdi, à Paris. « C’était très complet, sur tous les aspects, à la fois dans le domaine végétal et dans celui du montage administratif de notre structure », explique-t-elle. Elle suit également un Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BPREA), et lors d’un stage à Aubagne, découvre le métier de pépiniériste. « Initialement, on voulait faire du plein champ et des plants, mais c’est difficile, on a finalement préféré se concentrer sur la pépinière », poursuit-elle. En créant Mastoc, un jeu de mots avec estomac, elles choisissent de cultiver des plantes comestibles, fleurs, légumes ou aromatiques, 100% bio.

Mastoc, plantes à manger © JCS

Mastoc, plantes à manger © JCS

Préparer le terrain
Il leur faut alors trouver le terrain où s’installer. Le réseau et les rencontres sont déterminantes sur ce point. La Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement (DREAL) propose un aperçu des parcelles disponibles, et la Cité de l’Agriculture, qui organise à Marseille les 48 heures de l’agriculture urbaine, n’aide pas directement à l’obtention du foncier, mais elle peut favoriser les mises en contact. Ce réseau élargi a permis à Mastoc et à Fleurs de Marseille de s’installer au Grain de la vallée. Joséphine et Juliette y ont implanté leur serre et Marie-Laure cultive en plein champ des fleurs ornementales, 100% bio également.

En pratique, chaque résident du tiers-lieu verse une contribution au Grain, qui paye un loyer symbolique à la ville de Marseille, propriétaire du terrain. Mais avant l’installation concrète, il a fallu aménager l’espace. Sur le site se trouvaient du fer ou du polystyrène, héritage de chantiers de bâtiments précédents, et également beaucoup de cailloux. La revalorisation de la terre pour la mise en culture a pris du temps, mais elle offre désormais d’excellentes conditions. « On a aussi laissé une partie volontairement en friche, et on fait régulièrement des recensements de biodiversité, précise Marie-Laure. Même en bio, on a un impact, c’est important de le constater. »

Fleurs de Marseille © JCS

Fleurs de Marseille © JCS

Se structurer
Avant de s’installer, Marie-Laure est passée par Hectar, en région parisienne. Dans ce lieu, mêlant la culture start up et l’agriculture, elle a participé au programme Tremplin, qui l’a aidée à développer son projet d’entreprise. Puis elle a suivi une formation en agroforesterie au Domaine des Possibles à Arles. Enfin, elle a rejoint le dispositif d’Inter-Made, à Marseille, qui l’a accompagné vers la création de son activité.

Définir quelle structure juridique correspond à son projet est également déterminant, et les conseils d’un bon accompagnement sont décisifs pour cette orientation. Marie-Laure a opté pour l’entreprise, car son modèle économique repose sur l’activité commerciale. « La vente de fleurs représente 70 à 80% de mes ressources. Une association ne peut pas dépasser 30% de vente. »

Les deux pépiniéristes de Mastoc, en revanche, ont choisi le modèle associatif. Les collectivités locales ont pris conscience que revégétaliser la ville est un enjeu primordial, et elles peuvent soutenir des projets en ce sens. La structure en association permet d’accéder à des subventions publiques, ce qui a incité les deux jeunes femmes à adopter cette formule. Mais constituer des dossiers de subventions est complexe. « Il faut utiliser un jargon technique pour parler de quelque chose de très pratique, et cela prend beaucoup de temps. Pour le moment, nous ne sommes pas encore subventionnées », relève Joséphine.

Sous la serre de Mastoc © JCS

Sous la serre de Mastoc © JCS

Leur activité se divise entre la vente de leurs plants et les actions pédagogiques. Leurs revenus proviennent majoritairement d’ateliers qu’elles animent chaque semaine dans une école. « La pépinière représente l’essentiel de notre travail, et on vend notre production sur place et sur les marchés, mais les interventions en milieu scolaire constituent notre ressource financière principale, résume Juliette. Et il y a beaucoup de demande dans ce secteur. »

Parvenir à vivre d’une activité d’agriculture urbaine n’est pas simple mais pas non plus impossible. Les premières années sont compliquées, Mastoc et Fleurs de Marseille, qui ont moins de trois ans d’existence peuvent en témoigner. Joséphine et Juliette sont auto-entrepreneuses, elles facturent leurs animations d’ateliers, mais reconnaissent qu’il leur est encore difficile de se dégager un véritable revenu. Marie-Laure vend sa production sur des marchés et à des fleuristes de Marseille. Elle fournit également quelques boutiques dans son quartier, comme cette supérette qui a proposé ses fleurs lors de la fête des mères. Mais c’est surtout grâce à l’événementiel, où le volume de commandes est plus élevé, qu’elle peut se payer.

Malgré ces difficultés, aucune d’elles ne regrette de s’être lancée dans l’aventure. « On est hyper chanceuses. Tous les matins, on quitte la ville et son brouhaha, on arrive en pleine nature, et le soir, on rentre et on retrouve le mode de vie urbain. »

Jan-Cyril Salemi
Juin 2024

Changer le monde © JCS

Changer le monde © JCS