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Jean-Claude Lacassin est pédologue, spécialiste de l’étude des sols. Désormais à la retraite, il continue à pratiquer bénévolement son activité. En tant qu’expert auprès de France Nature Environnement PACA, notre partenaire, et à Colinéo, dans les quartiers nord de Marseille. Il coordonne sur le terrain le programme Sols Vivants, mis en place par FNE. Entretien.

Qui Vive : Qu’est-ce qu’un pédologue et en quoi consiste son activité ?

Jean-Claude Lacassin : C’est un spécialiste de la science du sol. Il va étudier, cartographier, interpréter la couche meuble à la surface de la terre. Le sol est un objet naturel en trois dimensions. On marche à sa surface, mais on ne sait pas ce qu’il y a dessous. Pour l’analyser, on fait des prélèvements à l’aide d’un outil manuel, la tarière pédologique. Cela nous permet d’extraire du sol des carottes de terre, longues de quelques dizaines de centimètres. Nous les observons et nous les décrivons. C’est notre premier repérage. Ensuite, nous creusons une fosse, d’environ 1m3, dans laquelle on descend, afin d’approfondir et d’affiner notre analyse. On recueille tout un tas de paramètres physiques, chimiques, biologiques, géologiques, de ce qui constitue le sol. On étudie alors les différentes couches, en observant de nombreux éléments : les racines, les vers de terre, les cailloux, la couleur, l’eau, etc. Cela prend plus de temps, cela coûte plus cher, et c’est beaucoup plus précis qu’un simple sondage à la tarière. Pour ma part, j’ai travaillé pendant 41 ans pour la société du Canal de Provence. Je suis à la retraite depuis presque un an. Je suis également administrateur de l’Association Française pour l’Etude du Sol (AFES). A ce titre, je me suis rapproché en 2022 de FNE PACA pour mettre en place le projet Sols Vivants et participer à ce réseau d’ambassadeurs des sols en Provence.

Sondage à la tarière © FNE PACA

Sondage à la tarière © FNE PACA

 

Dans une fosse pédologique © FNE PACA

Comment se définit un sol vivant ?

C’est un écosystème qui assure plusieurs fonctions. Celle que nous connaissons tous est la fonction de production de nourriture pour l’alimentation humaine. Des céréales, des fruits, des légumes, ou du lait et de la viande quand il y a des animaux d’élevage. C’est la fonction principale du sol, mais il y en a beaucoup d’autres. Parmi les plus importantes, il y a la fonction de régulation du cycle de l’eau. Le sol est une éponge, qui va retenir l’eau, puis la relâcher progressivement. Par exemple, en été, il va alimenter une rivière proche, les nappes souterraines et la végétation, cultivée ou naturelle. Le sol favorise l’infiltration plutôt que le ruissellement, qui peut être dangereux et causer des inondations. C’est une fonction essentielle. Le sol agit aussi sur la régulation du cycle du carbone, donc il a un rôle sur la régulation du climat, puisqu’il permet de stocker durablement du CO2. On le retrouve sous forme de racines ou de matière organique, comme les feuilles qui tombent, pourrissent, et se transforment en humus. Un sol vivant préserve aussi la biodiversité qui est sous la terre et va permettre la biodiversité à la surface. La végétation n’est possible que grâce à un sol riche en champignons, bactéries, insectes, vers de terre, nématodes, larves, etc. L’habitat d’un sol vivant est la terre, et dans cet habitat, on doit retrouver les micro-organismes indispensables à la vie.

Ver de terre © Creative Common

Ver de terre © Creative Common

Qu’est-ce qui favorise un sol vivant, et qu’est-ce qui peut lui nuire ?

Il faut déjà connaître ce milieu, qui est invisible, puisqu’on n’en voit que la surface, d’où l’utilité des études pédologiques pour diffuser ce qui doit être fait pour préserver ou rendre un sol vivant. Quand l’agriculture n’est pas intensive, ni agro-chimique, elle sait profiter des bienfaits du sol. Pour simplifier, le sol fait la vie, et la vie fait le sol. Il y a une interaction majeure entre le vivant et ce matériau, terreux et caillouteux, qu’est le sol. Depuis la fin du XIXe, la mécanisation à outrance et la chimie ont fragilisé le sol. On entend parfois que le sol est mort, c’est un peu exagéré, mais il y a une part de vérité. Des sols très pollués, à proximité d’industries, sont quasiment morts. En agriculture, même si l’usage d’engins de plus en plus lourds et de pesticides toxiques a beaucoup nui, les sols restent vivants. En sylviculture intensive, on retrouve les mêmes phénomènes. Quand des machines énormes interviennent en forêt, les sols sont tassés, compactés, et cela rend les sols forestiers encore plus fragiles que les sols agricoles. Mais historiquement, il y a eu aussi des méfaits sur le sol à des époques anciennes. Chez les Mayas, ou en Mésopotamie, l’aridification est liée notamment à des pratiques agricoles inadaptées.

Comment peut-on agir pour préserver le sol ?

Le sol reste méconnu, c’est un objet mystérieux, il faut creuser pour savoir ce qu’il s’y passe. De plus, en droit français, il est très mal protégé. L’eau et l’air sont considérés comme des patrimoines communs, tandis que le sol est soumis à la propriété privée. Pour intervenir sur une parcelle, il faut donc avoir l’autorisation de son propriétaire. Quand ce premier obstacle est passé, on peut agir. C’est ce que nous faisons avec FNE PACA. Nous avons lancé en 2023 le projet Sols Vivants, et nous mettons en place un réseau d’ambassadeurs des sols en Provence. Grâce aux relais locaux de FNE, nous mobilisons des gens qui souhaitent être formés à la compréhension du sol. On a réalisé une boîte à outils pour trouver des infos, disponibles sur le site dédié, Pour des sols vivants. L’objectif est que ces ambassadeurs puissent transmettre leurs connaissances à des élus sur leur territoire ou à d’autres militants. Nous organisons également des animations, les parcours pédologiques. En lien avec l’AFES, nous avons créé cinq parcours en région PACA, sur des sites dans le Var, le Vaucluse, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, et dans les Bouches-du-Rhône, c’est à Colinéo, dans les quartiers nord de Marseille.

Autour d’une fosse pédologique à Colinéo © FNE PACA

Quelle est la spécificité du site de Colinéo ?

C’est un site agricole en milieu urbain, et ils réalisent un très beau travail, avec un verger, du maraîchage bio, des terrasses et murs en pierres sèches. Sur place, nous avons creusé deux fosses pédologiques, dont j’ai fait la description complète, puis nous les avons rebouchées. On y retrouve les caractéristiques des sols méditerranéens et la façon dont ils sont mis en culture depuis des siècles. Colinéo est situé sur le versant de la chaîne de l’Etoile, le sol y est le plus souvent superficiel, pauvre, posé sur de la roche dure. Pour produire malgré ces contraintes, l’agriculture méditerranéenne a depuis toujours aménagé des murs de pierres sèches et des terrasses de culture, les restanques. Cela permet d’avoir plus de terre, donc des sols plus profonds, et de canaliser l’eau de ruissellement pour mieux la retenir. Les murs de pierres sèches et les restanques qui sont à Colinéo ont peut-être été construites à l’époque gréco-romaine. Bien sûr, ce n’est pas stable dans le temps, il faut les refaire, les consolider, mais cette méthode est très ancienne. Elle apporte du confort, pour travailler sur un terrain plus plat, plus épais, et plus efficace pour stocker l’eau.

A la découverte de la terre © FNE PACA

A la découverte de la terre © FNE PACA

 

Prise de relevé pédologique © FNE PACA

L’urbanisation aux alentours est-elle un obstacle à la remise en culture du site ?

Non, car le terrain de Colinéo n’a pas été urbanisé, ni industrialisé, c’était une zone agricole préservée, comme il en existe encore en périphérie de Marseille. Dans ce cas, il suffit d’amender le sol, avec du fumier, des engrais biologiques et d’avoir des pratiques agricoles respectueuses pour remettre une parcelle en culture. Il est vrai aussi que dans cet environnement urbain, les sols ne sont pas très sains, à cause de la pollution atmosphérique ou des résidus de déchets qui peuvent être portés par le mistral ou la pluie. Toutefois, l’impact reste limité, et le sol n’est pas plus pollué dans le nord de Marseille qu’à Aix ou à Gardanne. Avec l’AFES nous avons fait de nombreuses études sur l’évolution de la qualité des sols. Malheureusement, partout en France, on va retrouver des micro-plastiques dans les sols, ou le plomb de l’essence, des traces de pesticides, de métaux. C’est une pollution généralisée, hélas. Mais à Colinéo, il n’y a pas eu besoin de dépolluer ni de requalifier le sol avant de le remettre en culture. Des visites du site pour des scolaires ont lieu régulièrement, et dans le cadre du programme Sols Vivants, nous organisons aussi des parcours de découverte sur place. Les prochains se dérouleront au printemps.

Propos recueillis en décembre 2024 par Jan-Cyril Salemi

Le travail du pédologue © FNE PACA

Le travail de Jean-Claude Lacassin sur le terrain de Colinéo © FNE PACA

Comment concilier vie en ville et pratique agricole ? Que faire pour se lancer dans une telle activité ? Rencontre avec deux pépiniéristes et une floricultrice, installées à Marseille.

Mener une activité agricole tout en vivant en ville, cela peut être un rêve. Pour Joséphine, Juliette et Marie-Laure, c’est une réalité très concrète. Leurs productions sont installées au Grain de la vallée, aux portes de Marseille, tout près de la Penne-sur-Huveaune. La gare de la Penne est à 10 minutes à pied de cette ancienne école, transformée en tiers-lieu agri-culturel depuis 5 ans. Le 25 mai, lors des 48 heures de l’agriculture urbaine, Le Grain de la vallée proposait diverses activités, rencontres et ateliers, mêlant art et agriculture. Joséphine et Juliette, fondatrices de la pépinière Mastoc, et Marie-Laure, qui a lancé Fleurs de Marseille, animaient une rencontre pour présenter le parcours qu’elles ont suivi.

Le Grain de la vallée © JCS

Le Grain de la vallée © JCS

Reconversion professionnelle
Toutes les trois ont en commun d’être en reconversion professionnelle. Marie-Laure, la quarantaine, était engagée dans la communication et le marketing, Joséphine, la trentaine, réalisait des décors de spectacle, et Juliette, la trentaine également, travaillait auprès d’enfants autistes, notamment en école Montessori. Pour chacune, le déclic s’est produit lors de la période du covid. L’envie de changer de vie et de se reconnecter à la nature. Il leur a fallu à la fois se former et surtout trouver le terrain où s’installer.

La recherche du foncier est le premier enjeu pour l’installation en agriculture urbaine. Joséphine et Juliette ont d’abord commencé leur activité dans une petite serre de 10m², installée dans le jardin d’un de leurs amis. Dans le même temps, Juliette rejoint une formation avec Veni Verdi, à Paris. « C’était très complet, sur tous les aspects, à la fois dans le domaine végétal et dans celui du montage administratif de notre structure », explique-t-elle. Elle suit également un Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BPREA), et lors d’un stage à Aubagne, découvre le métier de pépiniériste. « Initialement, on voulait faire du plein champ et des plants, mais c’est difficile, on a finalement préféré se concentrer sur la pépinière », poursuit-elle. En créant Mastoc, un jeu de mots avec estomac, elles choisissent de cultiver des plantes comestibles, fleurs, légumes ou aromatiques, 100% bio.

Mastoc, plantes à manger © JCS

Mastoc, plantes à manger © JCS

Préparer le terrain
Il leur faut alors trouver le terrain où s’installer. Le réseau et les rencontres sont déterminantes sur ce point. La Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement (DREAL) propose un aperçu des parcelles disponibles, et la Cité de l’Agriculture, qui organise à Marseille les 48 heures de l’agriculture urbaine, n’aide pas directement à l’obtention du foncier, mais elle peut favoriser les mises en contact. Ce réseau élargi a permis à Mastoc et à Fleurs de Marseille de s’installer au Grain de la vallée. Joséphine et Juliette y ont implanté leur serre et Marie-Laure cultive en plein champ des fleurs ornementales, 100% bio également.

En pratique, chaque résident du tiers-lieu verse une contribution au Grain, qui paye un loyer symbolique à la ville de Marseille, propriétaire du terrain. Mais avant l’installation concrète, il a fallu aménager l’espace. Sur le site se trouvaient du fer ou du polystyrène, héritage de chantiers de bâtiments précédents, et également beaucoup de cailloux. La revalorisation de la terre pour la mise en culture a pris du temps, mais elle offre désormais d’excellentes conditions. « On a aussi laissé une partie volontairement en friche, et on fait régulièrement des recensements de biodiversité, précise Marie-Laure. Même en bio, on a un impact, c’est important de le constater. »

Fleurs de Marseille © JCS

Fleurs de Marseille © JCS

Se structurer
Avant de s’installer, Marie-Laure est passée par Hectar, en région parisienne. Dans ce lieu, mêlant la culture start up et l’agriculture, elle a participé au programme Tremplin, qui l’a aidée à développer son projet d’entreprise. Puis elle a suivi une formation en agroforesterie au Domaine des Possibles à Arles. Enfin, elle a rejoint le dispositif d’Inter-Made, à Marseille, qui l’a accompagné vers la création de son activité.

Définir quelle structure juridique correspond à son projet est également déterminant, et les conseils d’un bon accompagnement sont décisifs pour cette orientation. Marie-Laure a opté pour l’entreprise, car son modèle économique repose sur l’activité commerciale. « La vente de fleurs représente 70 à 80% de mes ressources. Une association ne peut pas dépasser 30% de vente. »

Les deux pépiniéristes de Mastoc, en revanche, ont choisi le modèle associatif. Les collectivités locales ont pris conscience que revégétaliser la ville est un enjeu primordial, et elles peuvent soutenir des projets en ce sens. La structure en association permet d’accéder à des subventions publiques, ce qui a incité les deux jeunes femmes à adopter cette formule. Mais constituer des dossiers de subventions est complexe. « Il faut utiliser un jargon technique pour parler de quelque chose de très pratique, et cela prend beaucoup de temps. Pour le moment, nous ne sommes pas encore subventionnées », relève Joséphine.

Sous la serre de Mastoc © JCS

Sous la serre de Mastoc © JCS

Leur activité se divise entre la vente de leurs plants et les actions pédagogiques. Leurs revenus proviennent majoritairement d’ateliers qu’elles animent chaque semaine dans une école. « La pépinière représente l’essentiel de notre travail, et on vend notre production sur place et sur les marchés, mais les interventions en milieu scolaire constituent notre ressource financière principale, résume Juliette. Et il y a beaucoup de demande dans ce secteur. »

Parvenir à vivre d’une activité d’agriculture urbaine n’est pas simple mais pas non plus impossible. Les premières années sont compliquées, Mastoc et Fleurs de Marseille, qui ont moins de trois ans d’existence peuvent en témoigner. Joséphine et Juliette sont auto-entrepreneuses, elles facturent leurs animations d’ateliers, mais reconnaissent qu’il leur est encore difficile de se dégager un véritable revenu. Marie-Laure vend sa production sur des marchés et à des fleuristes de Marseille. Elle fournit également quelques boutiques dans son quartier, comme cette supérette qui a proposé ses fleurs lors de la fête des mères. Mais c’est surtout grâce à l’événementiel, où le volume de commandes est plus élevé, qu’elle peut se payer.

Malgré ces difficultés, aucune d’elles ne regrette de s’être lancée dans l’aventure. « On est hyper chanceuses. Tous les matins, on quitte la ville et son brouhaha, on arrive en pleine nature, et le soir, on rentre et on retrouve le mode de vie urbain. »

Jan-Cyril Salemi
Juin 2024

Changer le monde © JCS

Changer le monde © JCS