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Magie et savon de Marseille

Rencontre avec Kamika, le magicien bio et ses tracts en savon de Marseille

De plus en plus d’artistes décident de mettre en application leurs valeurs écologistes, de manière très concrète. Michaël Soucin, alias Kamika, « le magicien bio », s’apprête à jouer son spectacle C’est dans la boite au Festival d’Avignon. Pourquoi bio ? Il nous explique sa démarche.

D’où viens-tu, Michaël ?

Je suis né à Marseille, en 1980, et j’ai vécu les vingt premières années de ma vie à Toulon. Ma famille est d’origine française et espagnole, mes grands-parents maternels ont fui le franquisme pour arriver en France. À l’école, j’avais un trouble de l’attention, j’étais en décalage en tout cas, rêveur. J’ai suivi des études de biologie. Même si j’ai mis longtemps à avoir mon DEUG, j’aimais bien, c’est une matière scientifique, mais qui raconte aussi de belles histoires. Après mes études, j’ai travaillé pour le Club Med. J’enseignais la voile, en Corse, en Turquie, à l’école des Glénans.

C’est ce qui t’a conduit à avoir une réflexion sur l’écologie ?

Peut-être ! L’école des Glénans est sur une île, il y avait très peu d’eau douce sur place. Des toilettes sèches avec vue sur la mer, des douches à pompes. Ça ne me parlait pas vraiment à l’époque, mais ça m’intriguait. Je me souviens que c’est venu petit à petit. Quand je suis revenu m’installer à Marseille, l’un de mes colocataires triait ses déchets, puis j’ai entendu parler de lombricompost. J’en ai fabriqué un avec des caisses en polystyrène récupérées à Noailles chez un poissonnier. C’est un dispositif à étages : des vers mangent nos déchets organiques, un liquide, le « thé de compost » est récupéré, et utilisé comme fertilisant. Ça marche bien.

Tu es donc devenu écolo par la pratique.

À 25 ans, sorti du Club Med, je n’allais pas très bien, je doutais beaucoup, je ne savais pas quoi faire de ma vie. Donc je me suis dit « prends soin, au moins, de la planète, le lieu où tu vis ». Et cela a orienté mes choix.

Comment es-tu devenu artiste ?

J’ai vécu quatre ans des minima sociaux. Ma propriétaire d’alors avait un cabaret. Je lui ai donné un coup de main au service. Elle recevait plein d’artistes, des strip-teasers, des transformistes. J’ai accompagné l’un d’entre eux comme éclairagiste, puis je suis passé moi-même sur scène, avec des numéros de jonglerie lumineuse. Ensuite il m’a suggéré de faire de la magie. Et ça m’a plu ! En 2013, je suis passé dans l’émission de M6, La France a un incroyable talent, ce qui m’a permis de me faire connaître.

Qu’est-ce qui te plaît dans la magie ?

Comme j’ai un peu du mal à me sentir à l’aise avec les gens, cela crée d’emblée une interaction très positive. Mais il y a un revers, après l’émerveillement du tour de magie, il y a souvent des conversations « balisées », un peu fades. Tu ne les rencontres pas vraiment.

Et la magie « bio », comment est-ce arrivé ?

En 2015, j’ai entendu dire que Coca Cola lançait un coca vert avec de la stevia. Apparemment ça a fait un bide. Je me suis dit que si Coca se mettait au bio, j’allais le faire moi aussi. J’ai commencé par le minimalisme ! En 2017, un pote partait enseigner en Guadeloupe. Je suis parti le voir en bateau-stop, au départ des Canaries. Il fallait que tout mon matériel de magie tienne dans la boite à café de ma grand-mère pour ne pas prendre de place. Suite à ce voyage, j’ai réalisé qu’il serait un bon thème de spectacle, avec cette dimension écolo, le fait de réduire, et de réutiliser cette boite pour un usage différent. Donc j’ai créé ce spectacle de magie, C’est dans la boite, je raconte tout cela dedans, et je la transforme en bateau à la fin. Je dis au public que recycler, c’est pas mal, mais le plus important est de réduire, réutiliser.

C’est dans la boite © Laura Sanna

Tu fais d’autres choses, dans ce registre ?

Lorsque je suis revenu à Marseille, un de mes colocs m’a laissé son vélo. Au début, je trouvais que ça faisait plouc, mais à l’usage je me suis rendu compte que c’est génial ! J’ai pédalé sur de gros trajets, à Karlsruhe, en Espagne, à Pise. J’ai l’idée de faire une tournée à vélo, mais je ne sais pas encore comment. Ou alors sur un bateau-spectacle. En tout cas, cette année, je pars à Avignon en vélo pour faire le Festival avec mon spectacle de magie. Au départ de Marseille, je vais remonter vers Aix-en-Provence, puis suivre la Durance en traversant les petits villages. Je compte mettre deux jours, j’aimerais bien embarquer des gens avec moi sur le parcours et en faire une aventure collective. J’ai créé un groupe WhatsApp pour les personnes qui voudraient me rejoindre. J’ai aussi opté pour une distribution de savons plutôt que de tracts, qui inondent Avignon chaque été et finissent à la poubelle.

Les tracts en savon © Kamika

De savons ? Mais c’est génial !

Oui, avec la savonnerie du Sérail, la dernière vraiment artisanale et traditionnelle de Marseille. Il faut du savon très frais, pour former des carrés fins, que je tranche avec une spatule. Ils sont imprimés au tampon, avec l’adresse de mon site dessus, l’heure et le lieu des représentations. Je joue du 29 juin au 21 juillet au Palais du Rire. C’est utile un savon, on ne va pas le jeter, les gens vont s’en servir. Je ne vais même pas les emballer. Et puis c’est du savon de Marseille, où je vis. C’est cohérent.

Propos recueillis par Gaëlle Cloarec, le 3 juin 2024

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